LE SALON LIBRE
Lettre composée pour l'Art par F. Ehrtnahn, gravée par Leveillé.
ès la première heure de son existence,
cette Revue a proclamé l'obligation qui
s'imposait à l'Etat de renoncer à son im-
mixtion dans les choses de l'art. L'État
n'est pas plus compétent pour diriger l'art
que pour diriger la religion, la philoso-
phie, la littérature. Les hommes qui sont
au gouvernement peuvent avoir leurs pré-
férences en toutes choses, comme les autres
et au même titre, mais leur rôle ne va pas
au delà. En qualité de gouvernants, ils
ont un mandat déterminé, une fonction
spéciale, qu'ils ne peuvent dépasser sans
danger pour le public, sans inconvénient
pour eux-mêmes. Leur devoir est d'accep-
ter avec courage les responsabilités qui
'LevuIIi résultent logiquement de l'exercice de leurs
fonctions, et leur intérêt est de repousser
énergiquement celles auxquelles ils ne sont
pas obligés.
Or il n'y a pas à se dissimuler que l'État jusqu'à ce jour n'a pas voulu être convaincu de
cet intérêt. Il parait qu'il faut une force de volonté et une supériorité d'intelligence très extraor-
dinaires pour se décider à lâcher une parcelle du pouvoir que l'on possède, alors même que la
possession de cette parcelle vous expose à une foule d'inconvénients réels, médiocrement com-
pensés par des avantages fictifs de pure vanité!
Il était réservé à l'administration présente des Beaux-Arts de donner cet exemple, qui,
soyons-en certain, trouvera peu d'imitateurs. A partir de 1881, le soin d'organiser et d'admi-
nistrer l'exposition annuelle des Beaux-Arts aux Champs-Élysées est remis complètement aux
artistes eux-mêmes. Un syndicat formé d'un certain nombre des membres du comité de l'Asso-
ciation des peintres, sculpteurs et graveurs, a réuni un fonds de garantie de 15:0,000 francs,
moyennant lequel l'État lui concède pour trois mois la partie du Palais de l'Industrie qui a été
jusqu'à ce jour consacrée à l'Exposition des Beaux-Arts et lui accorde une subvention
de 100,000 francs.
En 1882 commencera la série des expositions quadriennales, organisées par l'État seul,
concurremment avec les expositions annuelles des artistes.
Dans ces expositions d'État, présidées par un jury juste, mais rigoureux, — il faut du moins
l'espérer, — ne seront admises que des oeuvres peu nombreuses, mais choisies. La qualité ici
compensera la quantité, et personne ne s'en plaindra. Il est à souhaiter que l'administration
profite de ces occasions pour exposer les œuvres achetées et commandées par elle pendant les
quatre années précédentes. Ce serait chose utile et instructive.
Mais nous aurons plus tard l'occasion de revenir sur ces expositions quadriennales, quand
on en discutera le règlement. Pour le moment, arrêtons-nous aux expositions annuelles.
Les artistes, dit-on, quelques-uns du moins, reçoivent avec regret la liberté qu'on leur donne.
Lettre composée pour l'Art par F. Ehrtnahn, gravée par Leveillé.
ès la première heure de son existence,
cette Revue a proclamé l'obligation qui
s'imposait à l'Etat de renoncer à son im-
mixtion dans les choses de l'art. L'État
n'est pas plus compétent pour diriger l'art
que pour diriger la religion, la philoso-
phie, la littérature. Les hommes qui sont
au gouvernement peuvent avoir leurs pré-
férences en toutes choses, comme les autres
et au même titre, mais leur rôle ne va pas
au delà. En qualité de gouvernants, ils
ont un mandat déterminé, une fonction
spéciale, qu'ils ne peuvent dépasser sans
danger pour le public, sans inconvénient
pour eux-mêmes. Leur devoir est d'accep-
ter avec courage les responsabilités qui
'LevuIIi résultent logiquement de l'exercice de leurs
fonctions, et leur intérêt est de repousser
énergiquement celles auxquelles ils ne sont
pas obligés.
Or il n'y a pas à se dissimuler que l'État jusqu'à ce jour n'a pas voulu être convaincu de
cet intérêt. Il parait qu'il faut une force de volonté et une supériorité d'intelligence très extraor-
dinaires pour se décider à lâcher une parcelle du pouvoir que l'on possède, alors même que la
possession de cette parcelle vous expose à une foule d'inconvénients réels, médiocrement com-
pensés par des avantages fictifs de pure vanité!
Il était réservé à l'administration présente des Beaux-Arts de donner cet exemple, qui,
soyons-en certain, trouvera peu d'imitateurs. A partir de 1881, le soin d'organiser et d'admi-
nistrer l'exposition annuelle des Beaux-Arts aux Champs-Élysées est remis complètement aux
artistes eux-mêmes. Un syndicat formé d'un certain nombre des membres du comité de l'Asso-
ciation des peintres, sculpteurs et graveurs, a réuni un fonds de garantie de 15:0,000 francs,
moyennant lequel l'État lui concède pour trois mois la partie du Palais de l'Industrie qui a été
jusqu'à ce jour consacrée à l'Exposition des Beaux-Arts et lui accorde une subvention
de 100,000 francs.
En 1882 commencera la série des expositions quadriennales, organisées par l'État seul,
concurremment avec les expositions annuelles des artistes.
Dans ces expositions d'État, présidées par un jury juste, mais rigoureux, — il faut du moins
l'espérer, — ne seront admises que des oeuvres peu nombreuses, mais choisies. La qualité ici
compensera la quantité, et personne ne s'en plaindra. Il est à souhaiter que l'administration
profite de ces occasions pour exposer les œuvres achetées et commandées par elle pendant les
quatre années précédentes. Ce serait chose utile et instructive.
Mais nous aurons plus tard l'occasion de revenir sur ces expositions quadriennales, quand
on en discutera le règlement. Pour le moment, arrêtons-nous aux expositions annuelles.
Les artistes, dit-on, quelques-uns du moins, reçoivent avec regret la liberté qu'on leur donne.