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L'ART.
sa beauté constituent les premiers obstacles à son emploi. Sa
transparence et ses facettes irradiées repoussent toute apparence
de solidité.
« Le diamant a des effets imprévus; il déjoue le modelé de
la forme, il trompe les yeux, il s'enflamme d'une lumière qui le
fait saillir mal à propos ou reste transparent, et fait trou dans la
masse.
« Vues à quelque distance, toutes les pierres se confondent
dans un seul rayonnement, c'est un fouillis de lumière qui n'a
plus ni plans, ni formes, ni contours.
« On conçoit, après ce que je viens dire, les difficultés d'un
tel état, d'autant que si les moyens d'exécution sont peu variés,
les motifs d'inspiration sont plus rares aussi.
« C'est parmi les fleurs que le joaillier choisit généralement
ses modèles, et il en est certaines qui ont été copiées un nombre
incalculable de fois; l'églantine, la pervenche, la marguerite sont
les types les plus aimés, mais aussi les plus vulgarisés, et l'habi-
leté du dessinateur et de l'ouvrier consiste à rendre le modelé
des pétales, le mouvement de la fleur, et à pousser très loin la
copie de la nature.
« C'est à la recherche d'une expression nouvelle que se
lancent tous les joailliers aujourd'hui; les uns empruntent au
bijou ses formes ornées, et traduisent avec le diamant des
palmettes, des rinceaux, des enlacements ou des grecques.
D'autres préfèrent les figures géométriques ; mais la plupart,
restant dans le domaine de la plante, cherchent dans les contours
variés des feuilles un nouvel élément de succès. »
(La suite prochainement.) René Ménard.
ART MUSICAL
OPERA-COMIQUE : L'AMOUR MEDECIN, RICHARD CŒUR-DE-LION
BOUFFES-PARISIENS : LA MASCOTTE
, u point de vue de l'ensemble, on n'a jamais montré
h l'Opéra-Comique et on a montré rarement ail-
leurs un spectacle plus réussi que les trois actes
de VAmour médecin, dont la première représen-
tation a eu lieu le 20 décembre. Aussi la critique,
pour être juste, devrait-elle citer tous les collaborateurs et
interprètes de l'ouvrage, depuis le grand Molière jusqu'au
figurant chargé du rôle muet de Champagne, qui obtient tous
les soirs un succès de fou rire par sa façon burlesque d'obéir
aux ordres de son maître Sganàrelle et son empressement
à aller quérir les médecins qui doivent combattre la maladie de
la jeune Lucinde.
Dans la très courte préface qu'il a mise en tète de VAmour
médecin, Molière avertit le lecteur que ce n'est là « qu'un simple
crayon, un impromptu dont le roi a voulu se faire un divertis-
sement. Il est, dit-il, le plus précipité de tous ceux que Sa
Majesté m'a commandés; et lorsque je dirai qu'il a été proposé,
vraiment, en remplaçant le nom de l'incomparable Lulli par
celui de M. Ferdinand Poise, que « les airs et les symphonies,
mêlés à la beauté des voix et à l'adresse des danseurs », et aussi,
pourrions-nous ajouter, au talent des dessinateurs de décors et
de costumes, donnent à l'ouvrage des grâces particulières et
nouvelles.
C'est M. Monselet qui a été chargé de faire les adaptations
nécessaires à la transformation de la comédie-ballet en opéra-
comique. Il a accompli ce travail en disciple respectueux, en
poète qui admire les chefs-d'œuvre, et qui aussi sait être de son
temps. Quelques retranchements heureux ont été opérés, en très
petit nombre; une seule chanson épisodique, celle de Lisette au
troisième acte, a été ajoutée. On s'est contenté de choisir les
situations les plus musicales pour les traduire en vers lyriques.
Plus d'un critique a vu dans la musique écrite par M. Poise
sur l'Amour médecin un pastiche de la manière de Lulli. II est vrai
que Lulli est monotone et que M. Poise module très peu. Il est
fait, appris et représenté en cinq jours, je ne dirai que ce qui est ! vrai aussi que l'harmonie de M. Poise n'a rien des recherches
vrai. » Il ajoute encore : « Il serait à désirer que ces sortes
d'ouvrages pussent toujours se montrer avec les ornements qui
les accompagnent chez le roi...; les airs et les symphonies de
l'incomparable M. Lulli, mêlés à la beauté des voix et à l'adresse
des danseurs, leur donnent sans doute des grâces dont ils ont
toutes les peines du monde à se passer. » On croirait à lire ces
dernières lignes que le grand poète fait ici de la modestie. Au
fond il a raison. On a donné quelquefois F Amour médecin sur
nos grandes scènes littéraires, dépouillé de ses ornements musi-
caux et chorégraphiques. Ce qui s'en dégage, c'est une impression
de tristesse. Dans cette comédie où Molière entame sa longue
lutte contre les pédants médecins, il introduit quatre docteurs
qui, appelés en consultation auprès d'une jeune fille malade, se
mettent aussitôt à causer entre eux de leurs affaires, s'entre-
tiennent de la vitesse comparée de leurs mules et disputent sur
un point obscur d'une antique érudition. Il y a certainement
des détails comiques dans leur conversation; mais ce comique
qui parle constamment de maladie et de mort n'a rien de fort
réjouissant, et il arrive plus d'une fois que le rire excité par ces
lugubres plaisanteries s'arrête et tourne en une pensée par trop
sérieuse.
Avec la restitution qu'a faite l'Opéra-Comique du célèbre
impromptu, on n'a pas à craindre de pareils retours. Tout est
gai dans ces trois actes ; l'amertume a disparu pour ne laisser
place qu'à l'irrésistible comique de la pièce, et l'on peut dire
modernes et que son instrumentation se réduit le plus souvent
à la dernière simplicité. Mais comme la musique nouvelle sau-
tille! Comme ces rythmes coupés, dans leur vive et entraînante
allure, sont loin de la solennité du grand siècle ! Nous
voyons clairement une intention de pastiche dans le divertisse-
ment du premier acte, dans la brunette, et dans les couplets
que Sganàrelle chante pour obéir à l'injonction de sa servante;
ces divers morceaux sont même d'un style rétrospectif très
réussi. Mais dans la sérénade et le trio du premier acte, dans les
airs qui suivent, dans le déjà célèbre quintette de la consul-
tation, dans le quatuor du troisième acte, nous sommes en face
d'un compositeur aimable, élevé à l'école d'Adolphe Adam, qui
a gardé les qualités discrètes et les grâces quelque peu vieil-
lottes de l'ancien opéra-comique français. Ce genre est loin
d'être sans mérite, et celui qui y réussit ne saurait être confondu
dans la foule; or, on sait que M. Poise y excelle.
L'interprétation du nouvel ouvrage est tout à fait remar-
quable. En première ligne il faut citer M. Nicot, chargé du rôle
de Clitandre. M. Nicot est l'artiste des nuances fines et délicate-
ment indiquées. Avec un timbre moelleux et qui n'a rien d'effé-
miné, il a une façon de chanter du bout des lèvres qui ravit.
Son rôle se borne à trois morceaux très courts : la sérénade qui
ouvre la pièce, le quatuor de la fin, et avant ce quatuor, une
chanson que les auteurs ont ajoutée à la veille de la représen-
tation et sans laquelle l'excellent ténor était en vérité trop mal
L'ART.
sa beauté constituent les premiers obstacles à son emploi. Sa
transparence et ses facettes irradiées repoussent toute apparence
de solidité.
« Le diamant a des effets imprévus; il déjoue le modelé de
la forme, il trompe les yeux, il s'enflamme d'une lumière qui le
fait saillir mal à propos ou reste transparent, et fait trou dans la
masse.
« Vues à quelque distance, toutes les pierres se confondent
dans un seul rayonnement, c'est un fouillis de lumière qui n'a
plus ni plans, ni formes, ni contours.
« On conçoit, après ce que je viens dire, les difficultés d'un
tel état, d'autant que si les moyens d'exécution sont peu variés,
les motifs d'inspiration sont plus rares aussi.
« C'est parmi les fleurs que le joaillier choisit généralement
ses modèles, et il en est certaines qui ont été copiées un nombre
incalculable de fois; l'églantine, la pervenche, la marguerite sont
les types les plus aimés, mais aussi les plus vulgarisés, et l'habi-
leté du dessinateur et de l'ouvrier consiste à rendre le modelé
des pétales, le mouvement de la fleur, et à pousser très loin la
copie de la nature.
« C'est à la recherche d'une expression nouvelle que se
lancent tous les joailliers aujourd'hui; les uns empruntent au
bijou ses formes ornées, et traduisent avec le diamant des
palmettes, des rinceaux, des enlacements ou des grecques.
D'autres préfèrent les figures géométriques ; mais la plupart,
restant dans le domaine de la plante, cherchent dans les contours
variés des feuilles un nouvel élément de succès. »
(La suite prochainement.) René Ménard.
ART MUSICAL
OPERA-COMIQUE : L'AMOUR MEDECIN, RICHARD CŒUR-DE-LION
BOUFFES-PARISIENS : LA MASCOTTE
, u point de vue de l'ensemble, on n'a jamais montré
h l'Opéra-Comique et on a montré rarement ail-
leurs un spectacle plus réussi que les trois actes
de VAmour médecin, dont la première représen-
tation a eu lieu le 20 décembre. Aussi la critique,
pour être juste, devrait-elle citer tous les collaborateurs et
interprètes de l'ouvrage, depuis le grand Molière jusqu'au
figurant chargé du rôle muet de Champagne, qui obtient tous
les soirs un succès de fou rire par sa façon burlesque d'obéir
aux ordres de son maître Sganàrelle et son empressement
à aller quérir les médecins qui doivent combattre la maladie de
la jeune Lucinde.
Dans la très courte préface qu'il a mise en tète de VAmour
médecin, Molière avertit le lecteur que ce n'est là « qu'un simple
crayon, un impromptu dont le roi a voulu se faire un divertis-
sement. Il est, dit-il, le plus précipité de tous ceux que Sa
Majesté m'a commandés; et lorsque je dirai qu'il a été proposé,
vraiment, en remplaçant le nom de l'incomparable Lulli par
celui de M. Ferdinand Poise, que « les airs et les symphonies,
mêlés à la beauté des voix et à l'adresse des danseurs », et aussi,
pourrions-nous ajouter, au talent des dessinateurs de décors et
de costumes, donnent à l'ouvrage des grâces particulières et
nouvelles.
C'est M. Monselet qui a été chargé de faire les adaptations
nécessaires à la transformation de la comédie-ballet en opéra-
comique. Il a accompli ce travail en disciple respectueux, en
poète qui admire les chefs-d'œuvre, et qui aussi sait être de son
temps. Quelques retranchements heureux ont été opérés, en très
petit nombre; une seule chanson épisodique, celle de Lisette au
troisième acte, a été ajoutée. On s'est contenté de choisir les
situations les plus musicales pour les traduire en vers lyriques.
Plus d'un critique a vu dans la musique écrite par M. Poise
sur l'Amour médecin un pastiche de la manière de Lulli. II est vrai
que Lulli est monotone et que M. Poise module très peu. Il est
fait, appris et représenté en cinq jours, je ne dirai que ce qui est ! vrai aussi que l'harmonie de M. Poise n'a rien des recherches
vrai. » Il ajoute encore : « Il serait à désirer que ces sortes
d'ouvrages pussent toujours se montrer avec les ornements qui
les accompagnent chez le roi...; les airs et les symphonies de
l'incomparable M. Lulli, mêlés à la beauté des voix et à l'adresse
des danseurs, leur donnent sans doute des grâces dont ils ont
toutes les peines du monde à se passer. » On croirait à lire ces
dernières lignes que le grand poète fait ici de la modestie. Au
fond il a raison. On a donné quelquefois F Amour médecin sur
nos grandes scènes littéraires, dépouillé de ses ornements musi-
caux et chorégraphiques. Ce qui s'en dégage, c'est une impression
de tristesse. Dans cette comédie où Molière entame sa longue
lutte contre les pédants médecins, il introduit quatre docteurs
qui, appelés en consultation auprès d'une jeune fille malade, se
mettent aussitôt à causer entre eux de leurs affaires, s'entre-
tiennent de la vitesse comparée de leurs mules et disputent sur
un point obscur d'une antique érudition. Il y a certainement
des détails comiques dans leur conversation; mais ce comique
qui parle constamment de maladie et de mort n'a rien de fort
réjouissant, et il arrive plus d'une fois que le rire excité par ces
lugubres plaisanteries s'arrête et tourne en une pensée par trop
sérieuse.
Avec la restitution qu'a faite l'Opéra-Comique du célèbre
impromptu, on n'a pas à craindre de pareils retours. Tout est
gai dans ces trois actes ; l'amertume a disparu pour ne laisser
place qu'à l'irrésistible comique de la pièce, et l'on peut dire
modernes et que son instrumentation se réduit le plus souvent
à la dernière simplicité. Mais comme la musique nouvelle sau-
tille! Comme ces rythmes coupés, dans leur vive et entraînante
allure, sont loin de la solennité du grand siècle ! Nous
voyons clairement une intention de pastiche dans le divertisse-
ment du premier acte, dans la brunette, et dans les couplets
que Sganàrelle chante pour obéir à l'injonction de sa servante;
ces divers morceaux sont même d'un style rétrospectif très
réussi. Mais dans la sérénade et le trio du premier acte, dans les
airs qui suivent, dans le déjà célèbre quintette de la consul-
tation, dans le quatuor du troisième acte, nous sommes en face
d'un compositeur aimable, élevé à l'école d'Adolphe Adam, qui
a gardé les qualités discrètes et les grâces quelque peu vieil-
lottes de l'ancien opéra-comique français. Ce genre est loin
d'être sans mérite, et celui qui y réussit ne saurait être confondu
dans la foule; or, on sait que M. Poise y excelle.
L'interprétation du nouvel ouvrage est tout à fait remar-
quable. En première ligne il faut citer M. Nicot, chargé du rôle
de Clitandre. M. Nicot est l'artiste des nuances fines et délicate-
ment indiquées. Avec un timbre moelleux et qui n'a rien d'effé-
miné, il a une façon de chanter du bout des lèvres qui ravit.
Son rôle se borne à trois morceaux très courts : la sérénade qui
ouvre la pièce, le quatuor de la fin, et avant ce quatuor, une
chanson que les auteurs ont ajoutée à la veille de la représen-
tation et sans laquelle l'excellent ténor était en vérité trop mal