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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 1)

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Saint-Raymond, Edmond: Antonio Moro
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ANTONIO MORO

es maîtres italiens de la Renaissance ont traité la heureux des plus grands dans les deux écoles. A la célèbre

peinture du portrait d'une manière si grandiose
et si complète qu'ils ont entraîné irrésistiblement

exhibition de Manchester, où ses portraits se trouvaient en très
grand nombre, il occupait un des premiers rangs, au dire des

à leur suite bien des talents destinés par leurs j témoins les plus autorisés. Nous pouvions juger déjà à Paris

origines à marcher dans d'autres voies. Parmi même d'une partie de son mérite par les deux tableaux que le

ceux qui se sont formés sur ces illustres exemples, un des plus Louvre possède, un Portrait d'homme et le Nain de Charles-

intéressants est cet Antonio Moro dont les œuvres ne paraissent Quint. Ces deux belles œuvres, d'un pinceau mâle, fier et

jamais sans soulever les plus attrayants problèmes. Comment j décidé, d'un sentiment de couleur très remarquable et d'une

ce Hollandais se trouve-t-il si fort à son aise dans les traditions ! facture simple et franche, accusent surtout le peintre formé à

et les procédés de la peinture vénitienne ? Quelles affinités 1 l'école du Titien, qui sait le comprendre et le suivre sans servi-

secrètes, quelles prédispositions de la nature lui ont permis de j lité. mais qui doit beaucoup à ses leçons et qui est, en somme,

déployer dans cette voie d'emprunt tant de qualités originales ; le premier des Italianistes. Les deux tableaux légués récemment

et de faire tourner une manière apprise au profit d'un sentiment J par une pensée généreuse de M. le comte Duchâtel nous le

vrai ? Dans la peinture d'histoire, les Italiens en ont égaré bien montrent sous un point de vue plus original à quelques égards.

d'autres de son pays, et lui-même n'y a pas brillé beaucoup, si
nous en croyons ceux qui ont vu dans ce genre ses très rares
tableaux. Mais dans le portrait. cette imitation le soutient,
l'élève, lui fait dépasser les meilleurs de son temps, en qui
domine l'inspiration des peintres du Nord. Ainsi, tandis qu'au-
tour de lui son maître, Jean Schoorl. et ses contemporains
Blondel, Michel Coxcie, Martin van Hemskerk, Martin de Vos
et tant d'autres artistes dignes d'une éducation plus convenable
à leur nature, traînant à la suite des Italiens un talent fourvoyé,
tiraillés entre leurs tendances natives et la fascination d'un art
qui n'était pas fait pour eux, n'arrivent qu'à gâter ce qu'ils sont
sans devenir ce qu'ils voudraient être, ce nouveau venu, can-
tonné dans un genre moins ambitieux, entre sans effort dans le
domaine privilégié dont les étrangers trouvent l'accès si difficile,
et s'y révèle du premier coup comme tout à fait digne d'en
prendre possession. Ce n'est pas chez lui le fruit d'une conquête
pénible ou d'un secret adroitement surpris : c'est une sorte de
naturalisation, de reconnaissance fondée sur des titres légitimes.
C'est la consécration d'une communauté de sentiments, d'une
confraternité qui existait déjà par elle-même, et il n'y a pas
jusqu'à ce travestissement méridional du nom néerlandais d'An-
tonis Mor van Dashorst, qui ne semble comme le sceau d'adoption
de sa nouvelle famille.

Peut-être aussi a-t-il fait, en s'inspirant des Vénitiens, un
de ces heureux choix guidés par une vocation instructive. On
a souvent signalé les nombreux rapports de Venise et de la
Hollande ; et ce n'est pas seulement le milieu social, la forme
politique, le génie du commerce et la conquête de l'homme sur la
mer qui constituent les éléments de ces analogies singulières :
c'est la nature qui présente les mêmes aspects fins, enveloppés,
harmonieux dans leur éclat tranquille : c'est l'œil de l'homme
qui perçoit les mêmes impressions et les rend avec un sentiment
de couleur presque semblable. A cet égard, notre peintre avait
certainement un don de nature qui a secondé ses efforts et
assuré sa supériorité. Mais ce qu'il a de tout à fait à part, c'est
que cette supériorité est manifeste sur tous ceux de son propre
pays qui ont marché par les mêmes chemins.

Chose singulière encore et surtout plus rare chez les artistes
qui se livrent à de semblables courants, cette assimilation
consacrée par un tel succès ne fait oublier à Antonio Moro ni
sa vraie nature ni ses origines. Sous ce costume qui lui va si
bien, on retrouve, pour peu qu'on regarde, le vrai Hollandais
avec tous ses instincts et toutes ses prédilections. Il semble qu'il
ait pris la fleur des deux manières; à l'une, son amour de la
vérité exacte et de l'accent individuel, de l'expression et du réa-
lisme; à l'autre, sa grande allure, son instinct de l'attitude et du
geste, son exécution large et puissante et sa science de l'har-
monie. Il en a bien profité, car il se maintient partout le rival

et qui dans tous les cas nous semble bien fait pour appeler sur
ce grand artiste une recrudescence d'intérêt.

Les portraits qui font l'objet de la présente étude n'avaient
rien à emprunter à la distinction étudiée de la pose et à la
splendeur de la mise en scène : ils appartiennent à une donnée
plus familière et plus intime, mais qui ne laisse pas d'avoir sa
grandeur. Ce sont deux panneaux en hauteur représentant les
membres d'une famille noble à genoux et en prières. L'un est
consacré à la mère, l'autre au père et à ses deux enfants. En
dehors même de leur sujet, leur forme étroite et longue pourrait
faire penser que leur destination était de concourir à l'ensemble
d'une œuvre de peinture religieuse. Peut-être ont-ils composé
les volets d'un grand triptyque ou servi d'accompagnement à
quelque monumental ex-voto. Toutefois, il serait possible, car
on en trouve d'autres exemples, que. par une pieuse pensée fré-
quente à cette époque, cette attitude eût été préférée alors même
que le portrait des personnages était la tâche unique de l'artiste.
Dans tous les cas, le choix du sujet a décidé du caractère de
l'œuvre et a eu une grande influence sur le mode de représen-
tation. Ce ne sera plus une image d'apparat, de grandeur aristo-
cratique et de vie mondaine, où le personnage pose devant le
spectateur et cherche à donner de lui-même une haute idée; ce
sera l'expression de la vie intérieure et d'un de ces moments où
l'homme se retire à l'écart du monde, se concentre en lui-même
et s'abandonne sans témoins aux simples et graves pensées que
lui suggère sa foi.

Une telle conception imposait le calme et la sobriété de la
mise en œuvre. Aussi le peintre s'est-il bien gardé de solliciter le
regard par ces draperies voyantes, par ces costumes éclatants,
par ces accessoires si nombreux et si divers, par ces fonds si
importants et si remplis, auxquels le poussait sa nature, et qu'en
toute autre occasion il se fût empressé d'étaler. Nous verrons
bientôt que même en ce point le fini et la curiosité de l'exécu-
tion, le soin amoureux de l'accessoire et du détail ont su prendre
quelque peu leur revanche ; mais ils ne paraissent pas sortir de
leur place, et dans ce premier aspect général on n'y songe pas.
Sur un fond de paysage austère, fait pour des pensées de recueil-
ment et de solitude, où quelques rochers perdent à demi leurs
lignes dans l'enveloppe d'une tonalité noirâtre, les personnages
vêtus de noir prient et joignent les mains sous l'action d'une
lumière intense qui frappe leurs visages sans ménagement. Tout
le reste chez eux s'éteint ou se dissimule; les corps se noient
dans la teinte sombre et chaude dans laquelle ils sont baignés;
les costumes y disparaissent par l'effet de la similitude du ton;
à peine çà et là un col de dentelles, une chaîne d'or, une jupe
de satin, traversant cette nuit de son éclair furtif, vient servir
de guide pour retrouver les proportions et les principales
attaches. Seules au milieu de ces masses confuses et tout impré-
 
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