ART DRAMATIQUE
Comédie-Française : les Fausses Confidences, Mlle Tholer. —
Après le bal. — Renaissante : les Voltigeurs de la 32° (re-
prise). — Nouveautés : le Parisien. — Alsace! de MM. Erck-
mann-Chatrian.
part la publication du drame alsacien
de MM. Erckmann-Chatrian auquel
nous viendrons tout à l'heure, la
semaine a été dépourvue d'intérêt.
Le déclin de la saison théâtrale
s'accuse.
La Comédie-Française nous a
rendu les Fausses Confidences de
Marivaux, avec M"0 Tholer. Cette
artiste, dont les grâces physiques
firent proverbe autrefois et dont le
Lettre de G. Mitelli. 1
talent fait meilleure figure que
jamais, revient de Russie. La Russie est pour les théâtres une
manière de conservatoire froid, entretenu au Nord par une
société aristocratique et polie. Les comédiens et les comédiennes
qui ont déserté nos spectacles pour ceux de Saint-Pétersbourg
ont presque tous rapporté de là-bas des originalités, qui,
greffées sur de bons tempéraments, donnent à leur jeu je ne
sais quoi de neuf et de fort. Ces campagnes de Russie, plus
favorables aux individus qu'aux armées, les retrempent ou les
exaltent. C'est une chose remarquable que tous ces moineaux
francs de l'art nous sont revenus plus aguerris, le bec plus
luisant et la patte plus ferme. Il y a dans ce voyage de
Russie comme un effet d'hydrothérapie qui détend et assou-
plit leurs membres. Dupuis et Dieudonné, du Vaudeville,
Worms, de la Comédie-Française, sont des exemples vivants
d'une diction admirablement simple qui ne s'enseigne point
chez nous. Cela vient de ce qu'en Russie le théâtre continue le
salon; les acteurs se comportent à la scène comme des invités
de race, élégants sans mièvrerie, en qui le sentiment de l'hos-
pitalité reçue développe les instincts séduisants et généreux.
M"° Tholer, qui n'était qu'agréable il y a peu d'années, apparaît
maintenant avec le prestige d'une expérience intellectuelle
noblement conquise. Jeune encore, elle est mûre pour les rôles
favoris de M110 Mars et de Mmo Arnould-Plessy ; elle s'attaque
à Marivaux. Les Fausses Confidences n'ont point encore gagné
définitivement leur cause auprès du public, mais elles ont déjà
son oreille, comme disent Messieurs du Palais.
Je suis bien tenté de me rangera l'avis de Gustave Planche
qui voyait dans le rôle d'Araminte la synthèse du marivaudage,
au sens littéraire du mot. Je relisais hier le Legs, la Surprise de
iAmour, le Jeu de VAmour et du hasard et l'Epreuve qui se par-
tagent la première place dans l'œuvre de Marivaux. Nulle part
je n'ai rencontré la vivacité d'esprit, le mouvement scénique, et
surtout cette vérité d'analyse féminine, un tantinet outrancière,
qui règne dans les Fausses Confidences. Certes l'intrigue en est
romanesque (à ce point qu'Octave Feuillet l'a recommencée
dans le Roman d'un jeune homme pauvre), mais fouillez par le
menu toutes les pièces de Marivaux, extrayez-en le suc parti-
culier qu'on a baptisé du nom de marivaudage, il en est une qui
déterminera en vous une sensation analogue à un accord i si naturellement sur les lèvres ! Il n'y est pas, mais comme nous
à faire elle ne se charge point de lourds bagages. Pourtant je
réclame en faveur des Faux Ménages, qui avaient évidemment
le tort d'être en quatre actes et en vers, mais qui n'en demeurent
pas moins une belle et émouvante comédie. Après le bal est une
causerie succédanée de l'Etincelle, entre deux jeunes filles
qui échangent leurs réflexions au bruit étouffé d'un orchestre à
danser. C'est peu de chose comme invention, mais il y a dans le
détail une certaine fraîcheur d'expression qui l'accrédite. On a
bien accueilli cette bluette qui serait insignifiante sous la plume
de tout autre que M. Pailleron.
Aux Nouveautés, nous avons eu le Parisien, comédie-vau-
deville en trois actes de MM. Paul Ferrier et Vast-Ricouard,
tous auteurs féconds. Le Parisien, par la transparence des équi-
voques et la crudité des allusions libertines, inaugure avec
succès, il faut bien l'avouer, un genre de spectacle qui se confine
dans la pornographie pure et qui. à ce titre, ne saurait avoir
nos suffrages. Le sujet, éminemment scabreux, a été souventes-
fois mis à la scène, mais avec des ménagements qui sauvaient
les apparences. Il s'agit d'un Parisien qui passe pour eunuque
et ne l'est point : l'Eunuchus de Térence, à la nationalité près.
Je n'ai aucune envie de parler plus longtemps, à des dames
peut-être, d'un héros qui semble manquer de tout ce qu'il faut
pour leur plaire; et je les renvoie, pour supplément d'instruction,
au chapitre de Candide, intitulé, je crois: Suite des infortunes de
la vieille. Si les auteurs modernes ne répugnent point à l'idée de
piller les conteurs anciens, ils feront ample moisson d'anecdotes
identiques dans Boccace, le Pogge, Straparole et Marguerite de
Navarre. J'oublie Grécourt, Nogaret et tutti quanti. La veine
est ouverte; il n'y a qu'à puiser. Parmi les coq-à-l'àne égrillards
qui lèvent le nez dans le Parisien, un seul est de souche gau-
loise; c'est la déclaration d'amourque rend si finement Joumard.
Je vous fais grâce de ce que débitent Brasseur et Berthelier;
c'est le lit du bonhomme Job. On en a ri, mais de ce rire qui
ne doit pas désarmer la critique.
En attendant que Fanfreluche, Vex-Nuit de Saint-Germain,
jouée à Bruxelles, soit suffisamment sue et mise au point, la Re-
naissance a repris les Voltigeurs de la 32°, opérette de MM. Gon-
dinet et Georges Duval, pour les paroles, et Planquette pour la
musique. Quand l'Opéra-Comique ou les Folies-Dramatiques
afficheront la Fille du régiment ou la Fille du tambour-major,
allez voir l'une ou l'autre et tenez-vous pour dégagé envers les
Voltigeurs de la 32". A moins, toutefois, que vous ne désiriez
applaudir Jolly dans le rôle créé par Ismaël. Ce Jolly, qui est
un bouffon émérite, va droit à la rate du spectateur, sans nulle
prétention aux artifices du chant.
J'ai hâte de vous entretenir d'Alsace ! le drame de MM. Erck-
mann-Chatrian , interdit par la censure, comme le Tibère de
M. Ferdinand Dugué.
Les raisons qui ont dicté l'arrêt censorial se devinent à la
lecture à'Alsace! Bien que, dans la brochure que nous avons
sous la main, rien ne soit explicitement contraire à la politique
de prudence en ce moment suivie, il se dégage sourdement de
la pièce un appel à la revanche, capable de provoquer des notes
diplomatiques entre Berlin et Paris. C'est une interprétation,
j'en conviens; le mot n'est pas prononcé, d'accord, mais il vient
de dominante; ce sont les Fausses Confidences. L'homme qui a
dit que, pour être bon il faut l'être trop, n'a jamais été plus
conséquent avec lui-même.
Un petit acte, Après le bal, accompagnait les Fausses Confi-
dences sur l'affiche et se recommande à nous du nom d'Edouard
Pailleron. C'est dans les petits actes que M. Pailleron lance des
œillades à la postérité, il sait qu'ayant beaucoup de chemin
l'y mettrions! C'en est assez pour expliquer le veto qui frappe
l'ouvrage de MM. Erckmann-Chatrian et qui le réduit à paraître
en France sous les humbles espèces de l'impression. L'interdic-
tion qui pèse sur Alsace! atteste le patriotisme ardent de ses
auteurs. Et ce patriotisme nous soulève avec une telle éloquence
qu'en tournant les pages du livre, les larmes montent à nos
yeux au souvenir de la patrie démembrée! Oui, je défie les plus
Comédie-Française : les Fausses Confidences, Mlle Tholer. —
Après le bal. — Renaissante : les Voltigeurs de la 32° (re-
prise). — Nouveautés : le Parisien. — Alsace! de MM. Erck-
mann-Chatrian.
part la publication du drame alsacien
de MM. Erckmann-Chatrian auquel
nous viendrons tout à l'heure, la
semaine a été dépourvue d'intérêt.
Le déclin de la saison théâtrale
s'accuse.
La Comédie-Française nous a
rendu les Fausses Confidences de
Marivaux, avec M"0 Tholer. Cette
artiste, dont les grâces physiques
firent proverbe autrefois et dont le
Lettre de G. Mitelli. 1
talent fait meilleure figure que
jamais, revient de Russie. La Russie est pour les théâtres une
manière de conservatoire froid, entretenu au Nord par une
société aristocratique et polie. Les comédiens et les comédiennes
qui ont déserté nos spectacles pour ceux de Saint-Pétersbourg
ont presque tous rapporté de là-bas des originalités, qui,
greffées sur de bons tempéraments, donnent à leur jeu je ne
sais quoi de neuf et de fort. Ces campagnes de Russie, plus
favorables aux individus qu'aux armées, les retrempent ou les
exaltent. C'est une chose remarquable que tous ces moineaux
francs de l'art nous sont revenus plus aguerris, le bec plus
luisant et la patte plus ferme. Il y a dans ce voyage de
Russie comme un effet d'hydrothérapie qui détend et assou-
plit leurs membres. Dupuis et Dieudonné, du Vaudeville,
Worms, de la Comédie-Française, sont des exemples vivants
d'une diction admirablement simple qui ne s'enseigne point
chez nous. Cela vient de ce qu'en Russie le théâtre continue le
salon; les acteurs se comportent à la scène comme des invités
de race, élégants sans mièvrerie, en qui le sentiment de l'hos-
pitalité reçue développe les instincts séduisants et généreux.
M"° Tholer, qui n'était qu'agréable il y a peu d'années, apparaît
maintenant avec le prestige d'une expérience intellectuelle
noblement conquise. Jeune encore, elle est mûre pour les rôles
favoris de M110 Mars et de Mmo Arnould-Plessy ; elle s'attaque
à Marivaux. Les Fausses Confidences n'ont point encore gagné
définitivement leur cause auprès du public, mais elles ont déjà
son oreille, comme disent Messieurs du Palais.
Je suis bien tenté de me rangera l'avis de Gustave Planche
qui voyait dans le rôle d'Araminte la synthèse du marivaudage,
au sens littéraire du mot. Je relisais hier le Legs, la Surprise de
iAmour, le Jeu de VAmour et du hasard et l'Epreuve qui se par-
tagent la première place dans l'œuvre de Marivaux. Nulle part
je n'ai rencontré la vivacité d'esprit, le mouvement scénique, et
surtout cette vérité d'analyse féminine, un tantinet outrancière,
qui règne dans les Fausses Confidences. Certes l'intrigue en est
romanesque (à ce point qu'Octave Feuillet l'a recommencée
dans le Roman d'un jeune homme pauvre), mais fouillez par le
menu toutes les pièces de Marivaux, extrayez-en le suc parti-
culier qu'on a baptisé du nom de marivaudage, il en est une qui
déterminera en vous une sensation analogue à un accord i si naturellement sur les lèvres ! Il n'y est pas, mais comme nous
à faire elle ne se charge point de lourds bagages. Pourtant je
réclame en faveur des Faux Ménages, qui avaient évidemment
le tort d'être en quatre actes et en vers, mais qui n'en demeurent
pas moins une belle et émouvante comédie. Après le bal est une
causerie succédanée de l'Etincelle, entre deux jeunes filles
qui échangent leurs réflexions au bruit étouffé d'un orchestre à
danser. C'est peu de chose comme invention, mais il y a dans le
détail une certaine fraîcheur d'expression qui l'accrédite. On a
bien accueilli cette bluette qui serait insignifiante sous la plume
de tout autre que M. Pailleron.
Aux Nouveautés, nous avons eu le Parisien, comédie-vau-
deville en trois actes de MM. Paul Ferrier et Vast-Ricouard,
tous auteurs féconds. Le Parisien, par la transparence des équi-
voques et la crudité des allusions libertines, inaugure avec
succès, il faut bien l'avouer, un genre de spectacle qui se confine
dans la pornographie pure et qui. à ce titre, ne saurait avoir
nos suffrages. Le sujet, éminemment scabreux, a été souventes-
fois mis à la scène, mais avec des ménagements qui sauvaient
les apparences. Il s'agit d'un Parisien qui passe pour eunuque
et ne l'est point : l'Eunuchus de Térence, à la nationalité près.
Je n'ai aucune envie de parler plus longtemps, à des dames
peut-être, d'un héros qui semble manquer de tout ce qu'il faut
pour leur plaire; et je les renvoie, pour supplément d'instruction,
au chapitre de Candide, intitulé, je crois: Suite des infortunes de
la vieille. Si les auteurs modernes ne répugnent point à l'idée de
piller les conteurs anciens, ils feront ample moisson d'anecdotes
identiques dans Boccace, le Pogge, Straparole et Marguerite de
Navarre. J'oublie Grécourt, Nogaret et tutti quanti. La veine
est ouverte; il n'y a qu'à puiser. Parmi les coq-à-l'àne égrillards
qui lèvent le nez dans le Parisien, un seul est de souche gau-
loise; c'est la déclaration d'amourque rend si finement Joumard.
Je vous fais grâce de ce que débitent Brasseur et Berthelier;
c'est le lit du bonhomme Job. On en a ri, mais de ce rire qui
ne doit pas désarmer la critique.
En attendant que Fanfreluche, Vex-Nuit de Saint-Germain,
jouée à Bruxelles, soit suffisamment sue et mise au point, la Re-
naissance a repris les Voltigeurs de la 32°, opérette de MM. Gon-
dinet et Georges Duval, pour les paroles, et Planquette pour la
musique. Quand l'Opéra-Comique ou les Folies-Dramatiques
afficheront la Fille du régiment ou la Fille du tambour-major,
allez voir l'une ou l'autre et tenez-vous pour dégagé envers les
Voltigeurs de la 32". A moins, toutefois, que vous ne désiriez
applaudir Jolly dans le rôle créé par Ismaël. Ce Jolly, qui est
un bouffon émérite, va droit à la rate du spectateur, sans nulle
prétention aux artifices du chant.
J'ai hâte de vous entretenir d'Alsace ! le drame de MM. Erck-
mann-Chatrian , interdit par la censure, comme le Tibère de
M. Ferdinand Dugué.
Les raisons qui ont dicté l'arrêt censorial se devinent à la
lecture à'Alsace! Bien que, dans la brochure que nous avons
sous la main, rien ne soit explicitement contraire à la politique
de prudence en ce moment suivie, il se dégage sourdement de
la pièce un appel à la revanche, capable de provoquer des notes
diplomatiques entre Berlin et Paris. C'est une interprétation,
j'en conviens; le mot n'est pas prononcé, d'accord, mais il vient
de dominante; ce sont les Fausses Confidences. L'homme qui a
dit que, pour être bon il faut l'être trop, n'a jamais été plus
conséquent avec lui-même.
Un petit acte, Après le bal, accompagnait les Fausses Confi-
dences sur l'affiche et se recommande à nous du nom d'Edouard
Pailleron. C'est dans les petits actes que M. Pailleron lance des
œillades à la postérité, il sait qu'ayant beaucoup de chemin
l'y mettrions! C'en est assez pour expliquer le veto qui frappe
l'ouvrage de MM. Erckmann-Chatrian et qui le réduit à paraître
en France sous les humbles espèces de l'impression. L'interdic-
tion qui pèse sur Alsace! atteste le patriotisme ardent de ses
auteurs. Et ce patriotisme nous soulève avec une telle éloquence
qu'en tournant les pages du livre, les larmes montent à nos
yeux au souvenir de la patrie démembrée! Oui, je défie les plus