NÉCR
vient de mourir, en face de ce splendide musée qu'il a créé,
qu'il a donné au monde, nous savons maintenant au prix de
quels sacrifices.
« Je n'ai pas l'honneur, monsieur, d'être connu de vous;
mais je n'ignore pas l'intérêt que vous n'avez cessé de porter
aux remarquables travaux de mon pauvre frère et l'amitié qui
vous unissait à lui. Je sais par cœur la page du Fellah où vous
l'avez peint en pied, avec une si frappante fidélité.
« Je m'empresse donc de vous communiquer cette doulou-
reuse nouvelle, ne fût-ce que pour que la première notice bio-
graphique de la presse parisienne émane d'une main amie et
profondément sympathique.
« Vapereau est plein d'erreurs. Le nom même de mon frère
y est incorrectement donné. Il s'appelait Auguste-Ferdinand-
François. Il n'a jamais, non plus, été professeur de grammaire
ou de dessin, comme le prétendent Vapereau et Ernest Desjar-
dins. Comme Daunou et Sainte-Beuve, il était né à Boulogne-
sur-Mer (en février 1821).
« Son père, Parisien de naissance, appelé à Boulogne par
des intérêts de famille, s'y était fixé au terme de ses études de
droit et il y a longtemps exercé les fonctions de secrétaire de la
mairie. C'était aussi un homme remarquablement doué. Le
grand-père de Mariette était officier de marine sous Louis XV
et fut fait prisonnier par les Anglais pendant la guerre de Sept
Ans. Nous avons même dans nos papiers de famille une lettre
que le duc de Richelieu lui faisait écrire en Angleterre pour lui
annoncer un échange prochain de prisonniers en sa faveur (ce
qui semblerait indiquer que l'on attachait quelque valeur aux
services du jeune marin). Son bisaïeul, « l'avocat Mariette », est
cité dans l'Histoire des protestants français, de de Félice, avec
Élie de Beaumont, Loyseau de Mauléon et un autre dont
j'oublie le nom, comme un des quatre jurisconsultes qui osèrent
élever la voix contre l'infâme exécution de Calas.
« Vous le voyez, monsieur, mon pauvre frère avait dans le
sang l'énergie et le franc-parler que vous lui avez connus.
Il s'était occupé activement dans sa jeunesse de tout ce qui
se rattachait à la culture des lettres, des sciences et des arts dans
sa ville natale, et il montra de bonne heure un goût prononcé
pour les études archéologiques.
« Nestor L'Hôte, le compagnon de Champollion en 1827-29,
était notre cousin : Mariette fut chargé de mettre ses papiers en
ordre. Il n'en fallut pas davantage pour déterminer sa carrière.
Il était attaché au musée du Louvre en 1849, lorsqu'il sollicita
une mission du gouvernement pour aller, sur les traces de lord
Prudhor (plus tard duc de Northumberland), recueillir pour le
compte de la France des manuscrits coptes dans les monastères
de l'Egypte.
« Tout le monde sait qu'ayant passé quelques semaines aux
LOGIE. M3
environs des Pyramides et dans la plaine de Sakkarah en atten-
dant son compatriote Linant-Bey qui avait obligeamment offert
de l'accompagner aux monastères, Mariette se sentit irrésistible-
ment arrêté dans cette plaine, au milieu de ces sables mysté-
rieux. Il était venu là pour quinze jours. Il y resta quatre ans.
« Je n'ai ni lè temps ni le courage d'entrer aujourd'hui
dans les détails de ce séjour de quatre ans à Sakkarah.
« C'est une véritable épopée qui attend encore son historien,
— une épopée digne d'une plume inspirée, d'une plume comme
celle que vous maniez, monsieur, avec un talent unique.
0 Vous savez comme moi tout ce que les fouilles de Sakkarah
ont coûté de labeur, tout ce qu'elles ont provoqué de luttes
incessantes, de tracas de toute espèce et de dangers physiques,
et aussi tout ce qu'elles ont produit d'incomparables trésors.
« Vous savez, comme moi, que durant trente ans Mariette
est resté sur la brèche, à l'œuvre nuit et jour, fièrement enve-
loppé dans les glorieux plis de notre drapeau tricolore sur cette
terre classique des jalousies internationales.
« Vous savez comme moi, que corps et âme, il a tout donné,
tout usé pour la science et pour la France.
« Vous connaissez, comme moi, la liste de ces nobles
ouvrages que la postérité payera au poids de l'or, comme vous
le dites si bien. Je m'arrête, monsieur. Je sens que la douleur
m'étouffe. Croyez à mes sentiments de sincère estime.
« Alphonse Mariette. »
11 Voici la page à laquelle notre honorable correspondant
a bien voulu faire allusion :
« Mariette-Bey nous reçut à bras ouverts; c'est un des
hommes les plus complets qui soient au monde : savant comme
un bénédictin, courageux comme un zouave, patient comme un
graveur en taille-douce, naïf et bon comme un enfant, quoi-
qu'il s'emporte à tout propos, malheureux comme on ne l'est
guère, et gai comme on ne l'est plus; brûlé à petit feu par le
climat du tropique, et tué plus cruellement encore dans les
personnes qui lui sont chères; salarié petitement, presque
pauvre dans un rang qui oblige; mal vu des fonctionnaires et
du peuple, qui ne comprennent pas ce qu'il fait et considèrent
la science comme une superfluité d'Europe; cramponné malgré
tout à cette terre mystérieuse qu'il sonde depuis bientôt vingt
ans pour lui arracher tous ses secrets; honnête et délicat à s'en
rendre ridicule, conservateur têtu de l'admirable musée qu'il a
fait et qu'on ne visite guère; éditeur de publications ruineuses
que la postérité payera peut-être au poids de l'or, mais qui
sollicitent en vain les encouragements des ministères, il honore
la France, l'Egypte, l'humanité, et quand il sera mort de déses-
poir, on lui élèvera peut-être une statue.
« A bout. »
NECROLOGIE
— Le célèbre égyptologue François Mariette, membre de
l'Institut, vient de mourir au Caire.
M. Mariette était né en 1821 à Boulogne-sur-Mer, où il fit
ses études ; il écrivit une dissertation sur les noms des villes
anciennes dont Boulogne a occupé l'emplacement. L'étude des
hiéroglyphes anciens captivait déjà son attention, malgré le
peu de ressources que lui offrait sa ville natale.
En 1848, M. Mariette fut attaché au Musée égyptien du
Louvre et fut bientôt chargé d'une mission scientifique en
Egypte. Son attention ayant été de suite attirée sur les lieux
occupés par l'ancienne Memphis, il pratiqua des fouilles et
retrouva sous le sable le temple du dieu Serapis, les tombeaux
des bœufs Apis et un grand nombre de monuments précieux.
Pendant quatre ans, M. Mariette poursuivit ses fouilles au
milieu du désert. Après avoir mis au jour le Sérapeum, il
déblaya le célèbre colosse du Sphinx, et s'assura que ce gigan-
tesque monument avait été taillé sur place dans un rocher
naturel.
A son retour d'Egypte, M. Mariette fut nommé conservateur
adjoint du Musée égyptien au Louvre. Envoyé en 1855 à Berlin
pour étudier le Musée égyptien, il y reçut la décoration de
l'Aigle-Rouge. Rentré en Egypte, il y remplit les fonctions
d'inspecteur général et de conservateur des monuments de
l'Égypte, puis de directeur du Musée de Boulaq, et eut le titre
de bey.
En 1874, M. Mariette obtint le grand prix biennal de l'In-
stitut; en 1878, il fut élu membre titulaire de l'Académie des
inscriptions et belles-lettres, dont il était correspondant depuis
1863. Promu officier de la Légion d'honneur en 1861, Mariette-
Bey avait été fait commandeur en 1867. Il a fait paraître, sur
vient de mourir, en face de ce splendide musée qu'il a créé,
qu'il a donné au monde, nous savons maintenant au prix de
quels sacrifices.
« Je n'ai pas l'honneur, monsieur, d'être connu de vous;
mais je n'ignore pas l'intérêt que vous n'avez cessé de porter
aux remarquables travaux de mon pauvre frère et l'amitié qui
vous unissait à lui. Je sais par cœur la page du Fellah où vous
l'avez peint en pied, avec une si frappante fidélité.
« Je m'empresse donc de vous communiquer cette doulou-
reuse nouvelle, ne fût-ce que pour que la première notice bio-
graphique de la presse parisienne émane d'une main amie et
profondément sympathique.
« Vapereau est plein d'erreurs. Le nom même de mon frère
y est incorrectement donné. Il s'appelait Auguste-Ferdinand-
François. Il n'a jamais, non plus, été professeur de grammaire
ou de dessin, comme le prétendent Vapereau et Ernest Desjar-
dins. Comme Daunou et Sainte-Beuve, il était né à Boulogne-
sur-Mer (en février 1821).
« Son père, Parisien de naissance, appelé à Boulogne par
des intérêts de famille, s'y était fixé au terme de ses études de
droit et il y a longtemps exercé les fonctions de secrétaire de la
mairie. C'était aussi un homme remarquablement doué. Le
grand-père de Mariette était officier de marine sous Louis XV
et fut fait prisonnier par les Anglais pendant la guerre de Sept
Ans. Nous avons même dans nos papiers de famille une lettre
que le duc de Richelieu lui faisait écrire en Angleterre pour lui
annoncer un échange prochain de prisonniers en sa faveur (ce
qui semblerait indiquer que l'on attachait quelque valeur aux
services du jeune marin). Son bisaïeul, « l'avocat Mariette », est
cité dans l'Histoire des protestants français, de de Félice, avec
Élie de Beaumont, Loyseau de Mauléon et un autre dont
j'oublie le nom, comme un des quatre jurisconsultes qui osèrent
élever la voix contre l'infâme exécution de Calas.
« Vous le voyez, monsieur, mon pauvre frère avait dans le
sang l'énergie et le franc-parler que vous lui avez connus.
Il s'était occupé activement dans sa jeunesse de tout ce qui
se rattachait à la culture des lettres, des sciences et des arts dans
sa ville natale, et il montra de bonne heure un goût prononcé
pour les études archéologiques.
« Nestor L'Hôte, le compagnon de Champollion en 1827-29,
était notre cousin : Mariette fut chargé de mettre ses papiers en
ordre. Il n'en fallut pas davantage pour déterminer sa carrière.
Il était attaché au musée du Louvre en 1849, lorsqu'il sollicita
une mission du gouvernement pour aller, sur les traces de lord
Prudhor (plus tard duc de Northumberland), recueillir pour le
compte de la France des manuscrits coptes dans les monastères
de l'Egypte.
« Tout le monde sait qu'ayant passé quelques semaines aux
LOGIE. M3
environs des Pyramides et dans la plaine de Sakkarah en atten-
dant son compatriote Linant-Bey qui avait obligeamment offert
de l'accompagner aux monastères, Mariette se sentit irrésistible-
ment arrêté dans cette plaine, au milieu de ces sables mysté-
rieux. Il était venu là pour quinze jours. Il y resta quatre ans.
« Je n'ai ni lè temps ni le courage d'entrer aujourd'hui
dans les détails de ce séjour de quatre ans à Sakkarah.
« C'est une véritable épopée qui attend encore son historien,
— une épopée digne d'une plume inspirée, d'une plume comme
celle que vous maniez, monsieur, avec un talent unique.
0 Vous savez comme moi tout ce que les fouilles de Sakkarah
ont coûté de labeur, tout ce qu'elles ont provoqué de luttes
incessantes, de tracas de toute espèce et de dangers physiques,
et aussi tout ce qu'elles ont produit d'incomparables trésors.
« Vous savez, comme moi, que durant trente ans Mariette
est resté sur la brèche, à l'œuvre nuit et jour, fièrement enve-
loppé dans les glorieux plis de notre drapeau tricolore sur cette
terre classique des jalousies internationales.
« Vous savez comme moi, que corps et âme, il a tout donné,
tout usé pour la science et pour la France.
« Vous connaissez, comme moi, la liste de ces nobles
ouvrages que la postérité payera au poids de l'or, comme vous
le dites si bien. Je m'arrête, monsieur. Je sens que la douleur
m'étouffe. Croyez à mes sentiments de sincère estime.
« Alphonse Mariette. »
11 Voici la page à laquelle notre honorable correspondant
a bien voulu faire allusion :
« Mariette-Bey nous reçut à bras ouverts; c'est un des
hommes les plus complets qui soient au monde : savant comme
un bénédictin, courageux comme un zouave, patient comme un
graveur en taille-douce, naïf et bon comme un enfant, quoi-
qu'il s'emporte à tout propos, malheureux comme on ne l'est
guère, et gai comme on ne l'est plus; brûlé à petit feu par le
climat du tropique, et tué plus cruellement encore dans les
personnes qui lui sont chères; salarié petitement, presque
pauvre dans un rang qui oblige; mal vu des fonctionnaires et
du peuple, qui ne comprennent pas ce qu'il fait et considèrent
la science comme une superfluité d'Europe; cramponné malgré
tout à cette terre mystérieuse qu'il sonde depuis bientôt vingt
ans pour lui arracher tous ses secrets; honnête et délicat à s'en
rendre ridicule, conservateur têtu de l'admirable musée qu'il a
fait et qu'on ne visite guère; éditeur de publications ruineuses
que la postérité payera peut-être au poids de l'or, mais qui
sollicitent en vain les encouragements des ministères, il honore
la France, l'Egypte, l'humanité, et quand il sera mort de déses-
poir, on lui élèvera peut-être une statue.
« A bout. »
NECROLOGIE
— Le célèbre égyptologue François Mariette, membre de
l'Institut, vient de mourir au Caire.
M. Mariette était né en 1821 à Boulogne-sur-Mer, où il fit
ses études ; il écrivit une dissertation sur les noms des villes
anciennes dont Boulogne a occupé l'emplacement. L'étude des
hiéroglyphes anciens captivait déjà son attention, malgré le
peu de ressources que lui offrait sa ville natale.
En 1848, M. Mariette fut attaché au Musée égyptien du
Louvre et fut bientôt chargé d'une mission scientifique en
Egypte. Son attention ayant été de suite attirée sur les lieux
occupés par l'ancienne Memphis, il pratiqua des fouilles et
retrouva sous le sable le temple du dieu Serapis, les tombeaux
des bœufs Apis et un grand nombre de monuments précieux.
Pendant quatre ans, M. Mariette poursuivit ses fouilles au
milieu du désert. Après avoir mis au jour le Sérapeum, il
déblaya le célèbre colosse du Sphinx, et s'assura que ce gigan-
tesque monument avait été taillé sur place dans un rocher
naturel.
A son retour d'Egypte, M. Mariette fut nommé conservateur
adjoint du Musée égyptien au Louvre. Envoyé en 1855 à Berlin
pour étudier le Musée égyptien, il y reçut la décoration de
l'Aigle-Rouge. Rentré en Egypte, il y remplit les fonctions
d'inspecteur général et de conservateur des monuments de
l'Égypte, puis de directeur du Musée de Boulaq, et eut le titre
de bey.
En 1874, M. Mariette obtint le grand prix biennal de l'In-
stitut; en 1878, il fut élu membre titulaire de l'Académie des
inscriptions et belles-lettres, dont il était correspondant depuis
1863. Promu officier de la Légion d'honneur en 1861, Mariette-
Bey avait été fait commandeur en 1867. Il a fait paraître, sur