Pour moi, je suis convaincu que la double institution du Salon libre abandonné aux artistes
et des Expositions de choix organisées par l'Etat, — si Ton y persiste pendant quelques années,
— aura pour résultat d'entraîner la réforme de la situation actuelle, par cela seul qu'elle enlèvera
l'État aux promiscuités dangereuses avec le monde inférieur des rapins sans ouvrage, promiscuité
qu'entretenait fatalement le système d'intervention officielle suivi jusqu'à ce jour. Quand les
relations quotidiennes seront rompues, on s'habituera à comprendre qu'un peintre qui ne sait pas
peindre n'a pas plus de droit de vivre aux dépens de la nation qu'un poète incompris ou un épicier
qui ne sait pas son métier ; et peu à peu l'État arrivera, je l'espère, à enlever à cette mendicité
son dernier argument contre lui-même, en renonçant à garder la responsabilité d'encourager des
vocations illusoires.
Quand les artistes de cinquième ordre cesseront de rencontrer sans cesse la main de l'État
dans leurs affaires, ils perdront l'habitude de lui tendre la leur.
Tout le monde y trouvera son avantage : l'État, qui sera dégagé d'une responsabilité
compromettante; le public, qui n'aura plus à payer des achats et des commandes que l'on n'ose
pas lui montrer; les artistes, — les vrais, — qui n'auront plus à rougir de voir leur profession
déshonorée par une exploitation impudente de la commisération administrative.
Mais le plus grand avantage sera encore pour les administrateurs qui auront eu l'énergie et
qui auront la gloire d'avoir accompli cette réforme dans nos mœurs artistiques. Si partout dans
les administrations publiques les abus se perpétuent et s'aggravent, c'est précisément parce que
leur préoccupation la plus constante est de toujours tirer à soi, d'élargir sans cesse le cercle de
leurs attributions et de leur clientèle. La bureaucratie est comme une tache d'huile, qui s'étend
de proche en proche. C'est là un fait psychologique, dont la persistance prend son explication
dans les sentiments les plus naturels de l'humanité. Raison de plus pour ne pas ménager nos
félicitations aux hommes qui, pouvant garder un héritage assuré par de longues traditions, ont
cru devoir sacrifier à ce qui leur a paru être l'avantage du public les convenances au moins
apparentes de leur gloriole personnelle.
Eugène Véron.
Fragment d'un plafond exécuté par Galland.
Dessin de Scott, gravure de Froment.
et des Expositions de choix organisées par l'Etat, — si Ton y persiste pendant quelques années,
— aura pour résultat d'entraîner la réforme de la situation actuelle, par cela seul qu'elle enlèvera
l'État aux promiscuités dangereuses avec le monde inférieur des rapins sans ouvrage, promiscuité
qu'entretenait fatalement le système d'intervention officielle suivi jusqu'à ce jour. Quand les
relations quotidiennes seront rompues, on s'habituera à comprendre qu'un peintre qui ne sait pas
peindre n'a pas plus de droit de vivre aux dépens de la nation qu'un poète incompris ou un épicier
qui ne sait pas son métier ; et peu à peu l'État arrivera, je l'espère, à enlever à cette mendicité
son dernier argument contre lui-même, en renonçant à garder la responsabilité d'encourager des
vocations illusoires.
Quand les artistes de cinquième ordre cesseront de rencontrer sans cesse la main de l'État
dans leurs affaires, ils perdront l'habitude de lui tendre la leur.
Tout le monde y trouvera son avantage : l'État, qui sera dégagé d'une responsabilité
compromettante; le public, qui n'aura plus à payer des achats et des commandes que l'on n'ose
pas lui montrer; les artistes, — les vrais, — qui n'auront plus à rougir de voir leur profession
déshonorée par une exploitation impudente de la commisération administrative.
Mais le plus grand avantage sera encore pour les administrateurs qui auront eu l'énergie et
qui auront la gloire d'avoir accompli cette réforme dans nos mœurs artistiques. Si partout dans
les administrations publiques les abus se perpétuent et s'aggravent, c'est précisément parce que
leur préoccupation la plus constante est de toujours tirer à soi, d'élargir sans cesse le cercle de
leurs attributions et de leur clientèle. La bureaucratie est comme une tache d'huile, qui s'étend
de proche en proche. C'est là un fait psychologique, dont la persistance prend son explication
dans les sentiments les plus naturels de l'humanité. Raison de plus pour ne pas ménager nos
félicitations aux hommes qui, pouvant garder un héritage assuré par de longues traditions, ont
cru devoir sacrifier à ce qui leur a paru être l'avantage du public les convenances au moins
apparentes de leur gloriole personnelle.
Eugène Véron.
Fragment d'un plafond exécuté par Galland.
Dessin de Scott, gravure de Froment.