HISTOIRE ARTISTIQUE DU METAL. i37
dans le Louvre pour les artistes et les artisans les plus distingue's.
Ses intentions sont clairement manifestées par des lettres
patentes du 22 décembre 1608. « Nous avons eu cet égard en la
construction de notre galerie du Louvre, d'en disposer les bâti-
ments en telle forme que nous y puissions loger commodément
quantité des meilleurs ouvriers et plus suffisants maîtres qui se
pourraient rencontrer, tant de peinture, sculpture, orfèvrerie,
horlogerie, sculpture en pierreries, qu'autres de plusieurs et
excellents arts, tant pour nous servir d'iceux, comme pour être
par ce même moyen employés par nos sujets en ce qu'ils auraient
besoin de leur industrie, et aussi pour faire comme une pépi-
nière d'ouvriers de laquelle, sous l'apprentissage de si bons
maîtres, il en sorte plusieurs qui, par après, se répandraient
par tout notre royaume, et qui sauraient très bien servir le
public, etc. »
Pour les gens de métier, en général, mais surtout pour les
orfèvres, le logement au Louvre offrait de très grands avantages,
notamment celui de les soustraire aux règlements parfois très
gênants du corps de métier auquel ils appartenaient. Car la cor-
poration n'avait aucun pouvoir sur ceux qui étaient attachés à
la maison du roi. Plus tard, sous Louis XIV, on tenta de former
dans les ateliers des Gobelins une grande manufacture dont les
produits fabriqués devaient être employés pour le mobilier des
châteaux royaux et exécutés sous la direction du peintre Charles
Lebrun. Les plus grands maîtres de nos industries d'art ont
attaché leurs noms à cette institution, qui n'eut d'ailleurs qu'une
durée assez courte, puisque, du vivant même de Louis XIV, la
manufacture des Gobelins perdit le caractère d'universalité que
Colbert avait voulu lui donner, et ne fut plus utilisée que comme
fabrique de tapisseries.
Si l'orfèvrerie fut exclue de la fabrication royale, les orfèvres
n'en continuèrent pas moins à travailler pour la maison du roi.
et à être attachés à sa maison. Ce fut dans son extrême jeunesse,
lorsqu'il jouait encore au soldat, que Louis XIV prit le goût de
l'orfèvrerie. Comme il était passionné pour ce jeu et que de
simples soldats de plomb eussent été jugés indignes d'amuser
l'auguste enfant, on chargea l'orfèvre Merlin de confectionner
des petits soldats en argent5<et cet orfèvre est toujours demeuré
depuis ce temps attaché à la personne du roi. Au reste, il ne fut
pas le seul, et toute une légion d'artistes, travaillant sous la
haute direction de Lebrun, reçut pour mission de satisfaire les
caprices du roi.
Bérain, qui a mit de si beaux dessins de meubles et de tapis-
series, a fait aussi des modèles d'orfèvrerie. On lui doit entre
autres la composition d'une cafetière en argent repoussé et ciselé
qui faisait partie de la fameuse collection de San Donato et dont
la panse octogone repose sur un culot sphérique couvert de
roseaux en fleur, de gaînes et de lambrequins sur fond grain-
dorgé.
Ballin est le plus célèbre parmi les orfèvres qui se sont fait
un nom sous Louis XIV. Dès l'âge de dix-neuf ans il avait com-
posé quatre grands bassins décorés de figures en relief, qui
eurent un tel succès que le cardinal de Richelieu, en les achetant,
lui commanda quatre grands vases pour les accompagner.
Ballin a fait tous les genres, et il a travaillé pour les églises
autant que pour les châteaux, mais c'est surtout pour le somp-
tueux mobilier de Versailles qu'il a été appelé à déployer son
talent. «Il y avait là, dit Perrault dans ses Hommes illustres, des
tables d'une sculpture et d'une ciselure si admirables que la
matière, toute d'argent et. toute pesante qu'elle était, faisait à
peine la dixième partie de leur valeur. C'étaient des torchères
ou de grands guéridons de huit à neuf pieds de hauteur, pour
porter des flambeaux ou des girandoles; de grands vases pour
mettre des orangers et de'grands brancards pour les porter où
l'on aurait voulu; des cuvettes, des chandeliers, des miroirs,
tous ouvrages dont la magnificence, l'élégance et le bon goût
étaient peut-être une des choses du royaume qui donnaient une
plus .juste idée de la grandeur du prince qui les avait fait faire.»
Tome XXIV.
Après Claude Ballin, Delaunay, son gendre, Alexis Loir, et
ensuite Lacoste, furent les orfèvres les plus occupés du règne de
Louis XIV. « Lacoste, dit Alexis Monteil, alla dans sa jeunesse
à Paris pour y terminer son apprentissage; et comme il maniait
avec une égale habileté le crayon, le marteau et le ciseau, il fut
admis chez Ballin et chez Delaunay, qu'il n'appelait pas des
orfèvres, mais bien des sculpteurs en argent et en or. Il avait tra-
vaillé avec eux à ces beaux meubles d'orfèvrerie qui ornaient les
maisons royales : à ces grandes balustrades d'argent, à ces
grandes tables d'argent, à ces grands bancs d'argent, que l'am-
bassadeur de Siam avait de la peine à soulever; à ces grands
chandeliers d'argent hauts de huit ou neuf pieds, à ces grands
bassins d'argent de dix ou douze pieds de tour; à ces grands
cadres de miroir en or massif, pesant jusqu'à quinze ou vingt
livres. Mais quand il vit, dans des temps de détresse, fondre à
la monnaie ces chefs-d'œuvre qui avaient été dessinés par Le
Brun, qui avaient coûté dix millions et qui n'en rendirent que
trois, il quitta Paris. « Ce que je regrettai le plus, disait-il un jour,
ce ne furent pas les profits de mon état, ce fut de ne pouvoir
plus espérer de devenir garde-juré. Tous les orfèvres de Paris,
nous vivons dans l'espoir de le devenir, d'être revêtus de la robe
à manches de velours, enfin d'avoir l'honneur de porter un des
glorieux bâtons du dais aux solennelles entrées des rois. Toute
notre vie nous voyons ce glorieux bâton, et en mourant nous le
voyons encore. »
La fonte des objets de métal à laquelle Alexis Monteil fait
allusion remonte aux années néfastes de 1689 et 1690. Cette
fonte, qui n'amena pas du tout les avantages pécuniaires qu'on
en attendait, n'eut d'autre résultat que la destruction complète
de l'ancienne orfèvrerie royale, dont quelques pièces seulement
nous sont connues par la gravure. Mais elle ne porta pas un bien
grand préjudice à la corporation des orfèvres de Paris que nous
retrouvons bientôt plus florissante que jamais.
« Les orfèvres, écrit Charles Louandre, l'un des corps de
métier les plus riches et les plus influents de la capitale, étaient
très nombreux dans la section du Pont-Neuf et de l'île Notre-
Dame. En 1700, on en comptait trente-six sur le quai qui porte
leur nom, treize dans la rue du Harlay, douze sur la place Dau-
phine, six sur le quai de l'Horloge, trois rue de Lamoignon, un
cour du Palais.
« Un recensement général du mobilier de la bourgeoisie
parisienne, fait en 1700, nous montre quelle était à cette date la
richesse des bourgeois de Paris. Ce recensement constate qu'on
trouvait chez les simples particuliers, outre la vaisselle plate,
des soufflets, des grils, des sonnettes, des écritoires en argent,
de petits ménages en argent à l'usage des jeunes filles, des ten-
tures en tapisserie à fleurs d'or et d'argent, des garnitures de
cheminées à crépines d'or, des guéridons et des fauteuils d'ébène
massif à pieds en argent massif ou doré, des chaises de velours
à galons d'or, des bureaux en bois de violette et en bois d'olivier,
des bibliothèques ornées d'incrustations d'ivoire ou d'écaillé. »
Les lois somptuaires qui accompagnèrent la vieillesse morose
de Louis XIV et qui furent maintenues dans les premières
années de la Régence ne purent jamais recevoir une exécution
bien complète et finirent même par tomber complètement en
désuétude. Aussi voyons-nous malgré tout de nouvelles répu-
tations se former.
Le second Claude Ballin, neveu et élève du précédent,
n'atteignit jamais à la réputation de son oncle; néanmoins il
obtint une grande vogue dans la première moitié du xvni0 siècle.
C'est lui qui fut chargé de faire la couronne dans la composition
de laquelle entraient les deux plus beaux diamants connus alors,
le Sancy et le Régent; le nom de ce dernier vient du duc
d'Orléans, régent du royaume, par qui il avait été acheté pour le
roi. « Ballin, dit Ferdinand de Lasteyrie, était un excellent
orfèvre. Quant au style de ses œuvres, il devait nécessairement
se ressentir du goût de son époque, le goût le plus faux, le plus
abâtardi, le plus dépravé qui fut jamais. La ligne droite, les
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dans le Louvre pour les artistes et les artisans les plus distingue's.
Ses intentions sont clairement manifestées par des lettres
patentes du 22 décembre 1608. « Nous avons eu cet égard en la
construction de notre galerie du Louvre, d'en disposer les bâti-
ments en telle forme que nous y puissions loger commodément
quantité des meilleurs ouvriers et plus suffisants maîtres qui se
pourraient rencontrer, tant de peinture, sculpture, orfèvrerie,
horlogerie, sculpture en pierreries, qu'autres de plusieurs et
excellents arts, tant pour nous servir d'iceux, comme pour être
par ce même moyen employés par nos sujets en ce qu'ils auraient
besoin de leur industrie, et aussi pour faire comme une pépi-
nière d'ouvriers de laquelle, sous l'apprentissage de si bons
maîtres, il en sorte plusieurs qui, par après, se répandraient
par tout notre royaume, et qui sauraient très bien servir le
public, etc. »
Pour les gens de métier, en général, mais surtout pour les
orfèvres, le logement au Louvre offrait de très grands avantages,
notamment celui de les soustraire aux règlements parfois très
gênants du corps de métier auquel ils appartenaient. Car la cor-
poration n'avait aucun pouvoir sur ceux qui étaient attachés à
la maison du roi. Plus tard, sous Louis XIV, on tenta de former
dans les ateliers des Gobelins une grande manufacture dont les
produits fabriqués devaient être employés pour le mobilier des
châteaux royaux et exécutés sous la direction du peintre Charles
Lebrun. Les plus grands maîtres de nos industries d'art ont
attaché leurs noms à cette institution, qui n'eut d'ailleurs qu'une
durée assez courte, puisque, du vivant même de Louis XIV, la
manufacture des Gobelins perdit le caractère d'universalité que
Colbert avait voulu lui donner, et ne fut plus utilisée que comme
fabrique de tapisseries.
Si l'orfèvrerie fut exclue de la fabrication royale, les orfèvres
n'en continuèrent pas moins à travailler pour la maison du roi.
et à être attachés à sa maison. Ce fut dans son extrême jeunesse,
lorsqu'il jouait encore au soldat, que Louis XIV prit le goût de
l'orfèvrerie. Comme il était passionné pour ce jeu et que de
simples soldats de plomb eussent été jugés indignes d'amuser
l'auguste enfant, on chargea l'orfèvre Merlin de confectionner
des petits soldats en argent5<et cet orfèvre est toujours demeuré
depuis ce temps attaché à la personne du roi. Au reste, il ne fut
pas le seul, et toute une légion d'artistes, travaillant sous la
haute direction de Lebrun, reçut pour mission de satisfaire les
caprices du roi.
Bérain, qui a mit de si beaux dessins de meubles et de tapis-
series, a fait aussi des modèles d'orfèvrerie. On lui doit entre
autres la composition d'une cafetière en argent repoussé et ciselé
qui faisait partie de la fameuse collection de San Donato et dont
la panse octogone repose sur un culot sphérique couvert de
roseaux en fleur, de gaînes et de lambrequins sur fond grain-
dorgé.
Ballin est le plus célèbre parmi les orfèvres qui se sont fait
un nom sous Louis XIV. Dès l'âge de dix-neuf ans il avait com-
posé quatre grands bassins décorés de figures en relief, qui
eurent un tel succès que le cardinal de Richelieu, en les achetant,
lui commanda quatre grands vases pour les accompagner.
Ballin a fait tous les genres, et il a travaillé pour les églises
autant que pour les châteaux, mais c'est surtout pour le somp-
tueux mobilier de Versailles qu'il a été appelé à déployer son
talent. «Il y avait là, dit Perrault dans ses Hommes illustres, des
tables d'une sculpture et d'une ciselure si admirables que la
matière, toute d'argent et. toute pesante qu'elle était, faisait à
peine la dixième partie de leur valeur. C'étaient des torchères
ou de grands guéridons de huit à neuf pieds de hauteur, pour
porter des flambeaux ou des girandoles; de grands vases pour
mettre des orangers et de'grands brancards pour les porter où
l'on aurait voulu; des cuvettes, des chandeliers, des miroirs,
tous ouvrages dont la magnificence, l'élégance et le bon goût
étaient peut-être une des choses du royaume qui donnaient une
plus .juste idée de la grandeur du prince qui les avait fait faire.»
Tome XXIV.
Après Claude Ballin, Delaunay, son gendre, Alexis Loir, et
ensuite Lacoste, furent les orfèvres les plus occupés du règne de
Louis XIV. « Lacoste, dit Alexis Monteil, alla dans sa jeunesse
à Paris pour y terminer son apprentissage; et comme il maniait
avec une égale habileté le crayon, le marteau et le ciseau, il fut
admis chez Ballin et chez Delaunay, qu'il n'appelait pas des
orfèvres, mais bien des sculpteurs en argent et en or. Il avait tra-
vaillé avec eux à ces beaux meubles d'orfèvrerie qui ornaient les
maisons royales : à ces grandes balustrades d'argent, à ces
grandes tables d'argent, à ces grands bancs d'argent, que l'am-
bassadeur de Siam avait de la peine à soulever; à ces grands
chandeliers d'argent hauts de huit ou neuf pieds, à ces grands
bassins d'argent de dix ou douze pieds de tour; à ces grands
cadres de miroir en or massif, pesant jusqu'à quinze ou vingt
livres. Mais quand il vit, dans des temps de détresse, fondre à
la monnaie ces chefs-d'œuvre qui avaient été dessinés par Le
Brun, qui avaient coûté dix millions et qui n'en rendirent que
trois, il quitta Paris. « Ce que je regrettai le plus, disait-il un jour,
ce ne furent pas les profits de mon état, ce fut de ne pouvoir
plus espérer de devenir garde-juré. Tous les orfèvres de Paris,
nous vivons dans l'espoir de le devenir, d'être revêtus de la robe
à manches de velours, enfin d'avoir l'honneur de porter un des
glorieux bâtons du dais aux solennelles entrées des rois. Toute
notre vie nous voyons ce glorieux bâton, et en mourant nous le
voyons encore. »
La fonte des objets de métal à laquelle Alexis Monteil fait
allusion remonte aux années néfastes de 1689 et 1690. Cette
fonte, qui n'amena pas du tout les avantages pécuniaires qu'on
en attendait, n'eut d'autre résultat que la destruction complète
de l'ancienne orfèvrerie royale, dont quelques pièces seulement
nous sont connues par la gravure. Mais elle ne porta pas un bien
grand préjudice à la corporation des orfèvres de Paris que nous
retrouvons bientôt plus florissante que jamais.
« Les orfèvres, écrit Charles Louandre, l'un des corps de
métier les plus riches et les plus influents de la capitale, étaient
très nombreux dans la section du Pont-Neuf et de l'île Notre-
Dame. En 1700, on en comptait trente-six sur le quai qui porte
leur nom, treize dans la rue du Harlay, douze sur la place Dau-
phine, six sur le quai de l'Horloge, trois rue de Lamoignon, un
cour du Palais.
« Un recensement général du mobilier de la bourgeoisie
parisienne, fait en 1700, nous montre quelle était à cette date la
richesse des bourgeois de Paris. Ce recensement constate qu'on
trouvait chez les simples particuliers, outre la vaisselle plate,
des soufflets, des grils, des sonnettes, des écritoires en argent,
de petits ménages en argent à l'usage des jeunes filles, des ten-
tures en tapisserie à fleurs d'or et d'argent, des garnitures de
cheminées à crépines d'or, des guéridons et des fauteuils d'ébène
massif à pieds en argent massif ou doré, des chaises de velours
à galons d'or, des bureaux en bois de violette et en bois d'olivier,
des bibliothèques ornées d'incrustations d'ivoire ou d'écaillé. »
Les lois somptuaires qui accompagnèrent la vieillesse morose
de Louis XIV et qui furent maintenues dans les premières
années de la Régence ne purent jamais recevoir une exécution
bien complète et finirent même par tomber complètement en
désuétude. Aussi voyons-nous malgré tout de nouvelles répu-
tations se former.
Le second Claude Ballin, neveu et élève du précédent,
n'atteignit jamais à la réputation de son oncle; néanmoins il
obtint une grande vogue dans la première moitié du xvni0 siècle.
C'est lui qui fut chargé de faire la couronne dans la composition
de laquelle entraient les deux plus beaux diamants connus alors,
le Sancy et le Régent; le nom de ce dernier vient du duc
d'Orléans, régent du royaume, par qui il avait été acheté pour le
roi. « Ballin, dit Ferdinand de Lasteyrie, était un excellent
orfèvre. Quant au style de ses œuvres, il devait nécessairement
se ressentir du goût de son époque, le goût le plus faux, le plus
abâtardi, le plus dépravé qui fut jamais. La ligne droite, les
18