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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 1)

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Heulhard, Arthur: Art dramatique, [2]
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2 IO

L'ART.

chambre de Jack, Ida, reprise de folie, retourne avec son
Dargenton. Ce coup achève Jack, qui va mourir de consomption
chez le docteur Rivais, entre les bras de Ce'cile. Il rend le der-
nier soupir près d'Ida qui accourt, après des mois d'absence,
vêtue avec une extravagance de chanteuse de cafe'-concert.

Si MM. A. Daudet et Lafontaine n'avaient pas eu sous la
main une Ida merveilleusement souple et adroite comme Céline
Montaland, Jack risquait une chute. M110 Montaland a rendu
avec un esprit singulièrement précis l'inconscience criminelle
du personnage. D'autre part, un artiste de premier ordre s'est
révélé en M. Chelles, qui a joué le rôle de Jack avec une entente
admirable de la vraisemblance dramatique. Lafontaine s'est
adjugé Dargenton, type ingrat, s'il en fût jamais; il a voulu
être au péril comme acteur et à la gloire comme auteur. Aux
côtés de MIle Montaland, nous avons applaudi M11" Sisos, l'in-
génue, et M™0 Crosnier, qui fait au naturel la brave et digne
mère Archambault.

Il est évident, pour tous les esprits non prévenus, que
M. de la Rounat cherche le succès dans des œuvres littéraires,
au sens le plus élevé du mot, et qu'il brûle les idoles de la
féerie cynégétique que le pompeux M. Duquesnel adorait à
l'Odéon.

Venons à Nana.

Lorsque parut Nana, sous les espèces du roman, un cri stri-
dent de pudeur outragée s'éleva des abîmes de la presse pari-
sienne. On avait enfin un échantillon de ce que l'Ecriture sainte
appelle l'abomination de la désolation, et de ce que le paga-
nisme nommait le sacrifice au bouc; les robustes brus de la cri-
tique s'armèrent pour le bon combat, et refoulèrent jusqu'à
Mitylène au moins, le char lesbien dont le timon nous mena-
çait avec des caresses voluptueuses. On disait par les rues que
le marquis de Sade, condamné en Sorbonne et brûlé en Grève,
avait tendu la main par-dessus la tombe à M. Emile Zola; cet
accouplement bestial soulevait toutes les consciences pures de
de Paris, — qui ne sont point rares, comme chacun sait.

Du roman au drame, Zola s'est fait ermite ; il a encapuchonné
ses cornes, et prêche aujourd'hui la morale en action dans la
chaire de l'Ambigu, devant les pénitentes agenouille'es ; le diable
en personne prescrit des neuvaines à la continence et à la chas-
teté, si dédaignées dans la pratique. C'est dire que Nana, drame,
n'a qu'une parenté très éloignée avec Nana, roman, et je ne
raviverai pas à ce sujet les vaines querelles des anciens et des
modernes, je n'évoquerai pas les fastidieux combats des spiri-
tualistes avec les réalistes. Sous l'aspect qu'elle revêt à la scène-,
Nana ne nous apparaît plus comme un foudre de naturalisme
erotique; on la croirait tout bonnement sortie de la cuisse au-
guste de Xavier de Montépin ou de Eortuné du Boisgobey. La
désillusion a été si forte que M. Zola s'en est plaint récemment.
Il a lancé, dans une chronique du Figaro, de virulents ana-
thèmes contre les infâmes spectateurs des premières représen-
tations venus à l'Ambigu pour se mirer dans la boue qui dé-
goutte du roman. Le public était allé entendre ce qu'on lui
avait promis, voilà son crime. On comprend qu'il ait été décon-
tenancé. M. William Busnach, en arrangeant Nana pour le
théâtre, l'a purgée de toutes les ordures voulues qui, pour être
dans le caractère et dans la condition des personnages, n'en
sont pas moins de belles et odorantes ordures. Comme le héros
de Molière, il a, de son autorité privée, changé tout cela ; de ce
fatras d'indiscrétions puisées dans l'arrière-toilette de quelques
vieilles filles de Paris, il ne nous reste plus maintenant que la
parabole de l'Enfant prodigue, privée de son dévouement
patriarcal. Le veau qu'on tue ne profite à personne.

A l'instar de l'Assommoir, Nana n'est autre chose que
l'adaptation à la scène d'une série de caricatures anglaises,
signées Hogarth, et passant devant nous au fond de la lanterne
magique théâtrale comme un rappel aux bonnes mœurs. Ces
deux pièces s'éloignent sensiblement de l'esthétique naturaliste ;
le détail y est nul. Elles concluent toutes deux conformément

aux principes de Joseph Prudhomme : « L'excès en tout est un
défaut; boire trop conduit à la démence; s'amuser trop mène à
ia maladie. » Le résultat est que le bourgeois pudibond qui
défendait à sa fille Nana, chez Charpentier, peut sans danger
la conduire à Nana, chez Chabrillat. A l'Ambigu, elle n'ap-
prendra rien qui conspire contre son innocence.

Il n'y a pas d'intrigue dans Nana ; partant point d'actes pro-
prement dits; la pièce est divisée, et l'auteur a le scrupule de
nous en avertir, en dix tableaux où les épisodes se superposent
sans se confondre. De ces dix tableaux, les trois premiers ont
été remaniés ou réduits, et le huitième supprimé. Ces conces-
sions étaient réclamées.

Le premier tableau (je raconte le drame tel qu'il a été joué
d'original) nous montre le cabinet de toilette de Nana, le len-
demain de la première représentation de la Blonde Vénus, opé-
rette où elle a révolutionné Paris. Rien qu'en embrassant le
décor, l'œil prévient l'oreille de ce qu'elle va entendre. D'après
la conversation de Mm03 Maloir et Lerat, confidentes des se-
crets domestiques, il est clair — comme un jeu de cartes trans-
parentes— que Nana, fille de l'alcoolisé Coupeau, se produit
aux Variétés, dans le but peu avouable de renforcer sa galante
clientèle. Encore M. Busnach prend-il quantité de précautions
de dramaturge pour nous renseigner sur la situation de Nana.
Ce n'est pas chez la Tricon (on disait chez la Gourdan, au siècle
dernier) qu'elle se procure les trois cents francs dont elle a be-
soin pour ramener son enfant de nourrice; c'est son directeur
Bordenavc qui les lui avance sur ses appointements d'actrice.
En tout cas, et quelque détour de langage qu'on prenne, la
situation est neite : Nana se livre à la débauche pour accroître
ses ressources. C'est dans cet esprit que la retrouve le vieux
marquis de Chouard, qui l'a perdue, lorsqu'il lui rend visite,
sous couleur de secours aux indigents, avec son gendre, le comte
Muftat de Beuville.

Nana, considérée au point de vue du type littéraire, est
une manière de Circé passive qui exerce la puissance de sa
chair sur tous les hommes qui s'offrent à ses coups. Le pauvre
petit Georges Hugon la voit et il l'aime. Le comte Mullat
la voit et il en est fou. Pour la serrer dans ses bras, Georges
Hugon, malgré son frère, le capitaine Philippe, malgré sa mère
aux cheveux gris, s'apprête à verser le sang vermeil de ses dix-
sept printemps; pour l'avoir à lui, le comte Muffat, en dépit de
sa dignité de chambellan et de son poste officiel aux Tuileries,
abandonne le foyer conjugal éclairé par les grands yeux noirs
de la comtesse Sabine. L'action destructive de Nana est virtuel-
lement commencée. En vain la comtesse Sabine reconquiert un
moment son mari, et fait chasser par le commissaire des courses
de Longchamp cette fille éhontée qui s'est introduite dans l'en-
ceinte du pesage; en vain le capitaine Philippe la somme de
rendre Georges à M1"0 Hugon; Nana, par la seule tyrannie
de la beauté, est plus forte que les conventions sociales, plus
forte que les revendications de la famille, plus forte, dans sa
fantaisie seule, que toutes les révoltes de la volonté d'autrui.
De son hôtel de l'avenue de Villiers, acheté avec les châteaux
de Muffat, elle défie Paris par la sérénité du vice; elle a un
cœur qui ne bat qu'à l'appel du Champagne. Elle brise, comme
un enfant ses jouets, tout ce qui gravite autour d'elle; Philippe
lui-même, le rude capitaine Philippe, étant venu à elle, le cha-
peau sur la tète et l'insulte aux lèvres, succombe à la tenta-
tion de disputer à son frère Georges ce bloc de chair fraîche
constrictor. Mais, avec le septième tableau, voici venir la
revanche tant attendue de la morale. Quoique le boudoir de
Nana soit jonché de victimes, l'argent se raréfie. Muffat est
ruiné; Philippe Hugon, qui a volé douze mille francs à
la caisse de son régiment pour Nana, est jeté en prison ;
Georges, jaloux de Philippe que Nana lui préfère, se laboure la
poitrine et tombe mourant sur un sofa du salon; Muffat, sur le
point de se saigner la veine de cinquante mille francs, débris
d'une fortune dilapidée, apprend enfin que le marquis de
 
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