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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 1)

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Heulhard, Arthur: Art dramatique, [3]: Comédie-Française: La Princesse de Bagdad
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https://doi.org/10.11588/diglit.18877#0279

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la comtesse, mais encore il a l'audace inconcevable de se déclarer
à elle, en plein salon, pendant que M. de Hun est sorti pour
causer une minute avec un clerc de maître Richard. « Je vous
aime, dit-il en substance; vous ne m'aimez pas et peut-être ne
m'aimerez-vous jamais; vous êtes ruinée, je le sais.. Vous sou-
vient-il de l'hôtel neuf que vous admiriez un jour, en passant
dans les Champs-Elysées avec votre mari? Je l'ai acheté. En
voici la clef. Les voitures attendent sous les remises, les
chevaux dans les écuries, les valets dans les antichambres. Dans
le salon, un coffret arabe contient un million en or vierge,
frappé exprès pour vous ; un autre meuble renferme les titres
qui vous constitueront la propriété de l'hôtel dès qu'il vous
plaira de les signer. Demain, je passerai la journée dans cette
maison; si vous me dites de m'en aller, je m'en irai, si vous me
dites de rester, je resterai. » Et il dépose la clef sur une table.
« L'insolent! » murmure la comtesse, et elle lance la clef par la
fenêtre du jardin. Nourvadyse retire; M. de Hun rentre ; il vient
d'apprendre du clerc d'avoué que Nourvady a fait payer toutes
les dettes de lacomtesse... « Nourvady est votre amant! crie Jean,
pâle de colère, je vous chasse.—Vous m'insultez! réplique sa
femme. D'ailleurs, je suis ici chez moi, et j'y reste. — Alors
c'est moi qui pars », dit Jean.

Telle est l'exposition de la Princesse de Bagdad: les prin-
cipaux personnages sont aux prises. Aucune des thèses favorites
de M. Dumas fils n'apparaît; il est impossible de prévoir où il
nous mène et à quel dilemme il veut aboutir. En attendant, le
temps se passe avec agrément; ce premier acte est semé de ces
traits à l'emporte-pièce dont M. Dumas fils a le secret ; le dialogue
se poursuit ferme, leste et brillant comme dans la bonne,langue
dramatique, avec des tours elliptiques un peu négligés (comme
si l'œuvre avait été écrite à la volée et sans retouche), mais
jetant aux yeux une poudre éblouissante. Je sais tout ce qu'il y
a d'invraisemblable et de romanesque dans les descriptions de
Nourvady et dans Nourvady lui-même : c'est un héros d'Eugène
Sue que ce fils de banquier qui jongle avec les millions de son
père et joue avec la faiblesse des femmes d'une façon si bizarre
et si imprévue! C'est un mari de Daumier que ce Jean de Hun
qui se dispose à prendre le train pour la province, le jour où il
se voit ruiné, à l'heure où il se croit trompé par sa femme ! Et
cette femme elle-même, qu'est-elle donc? Une femme de
Gavarni, retouchée par Grévin ! Ecoutez plutôt ce qu'en pensent
les invités du mari, Godler et Trevelé, dans une conversation
pleine de ces parisianismes tranchants où excelle l'auteur du
Demi-Monde. 11 y avait une fois, car j'imagine qu'il s'agit ici
d'un conte, une Mm0 Duranton qui tenait un magasin, rue Tra-
versière. Elle était marchande à la toilette, si Godler dit vrai,
et avait une fille jolie à la manière des héroïnes de Voisenon. Le
jeune prince de Bagdad, étant venu à Paris, vit la fillette et la
rendit mère d'une autre fillette qu'on nomma familièrement la
princesse de Bagdad, en souvenir de son père, ou Lionnette, à
cause de sa merveilleuse crinière d'or. Le prince de Bagdad
retourna dans ses Etats, M"0 Duranton épousa je ne sais quel
marquis de Quansas, et c'est à Mlle de Quansas, dite Lionnette,
dite princesse de Bagdad, que M. le comte Jean de Hun donna
son titre et son nom. Si M. Dumas s'est appesanti longuement
sur des origines d'une fantaisie féerique, c'est qu'il en avait
besoin pour conduire son type de femme à des aventures
extraordinaires où le sang de l'aventurière et le sang de la prin-
cesse alterneraient sous sa lancette.

Avec le second acte, les événements se précipitent comme
si le dénouement n'était pas réservé pour le troisième. Le lende-
main même de la soirée où elle a traité Nourvady d'insolent et
Jean d'imbécile, Lionnette ramasse la clef tombée dans le jardin
et s'introduit dans l'hôtel des Champs-Elysées. Elle sonne,
Nourvady paraît. On ne comprend guère les marivaudages que
débitent ici la fille du prince et le fils du banquier. Lionnette
n'ose pas nous avouera quoi elle s'est décidée en abandonnant
le domicile conjugal, ni si elle s'est décidée à quelque chose.

Nourvady se comporte avec autant d'irrésolution ; il entend
respecter celle qu'il aime, et ne la devoir qu'à elle-même;
d'autre part il espère être provoqué et tué par M. de Hun, en
prévision de quoi il a préparé un testament à l'adresse de Lion-
nette.

Nous avons, d'une part, Lionnette qui déclare qu'elle ne
cédera pas; alors que vient-elle faire chez Nourvady? Nous
avons, d'autre part, Nourvady qui proteste de l'innocence de
ses intentions ; pourquoi donc avoir attiré Lionnette dans un
rendez-vous qui ressemble si fort à un piège ? Toutes les avances
possibles, Nourvady les fait ; toutes les imprudences imagi-
nables, Lionnette les commet. Elle a l'air d'une femme qui
voudrait bien qu'on la violât; Nourvady nous fait l'effet d'un
homme qui aspire à être pris d'assaut. La situation est intolé-
rable, et après une demi-heure de phraséologie germanique,
Lionnette en est réduite à partir bredouille, lorsque des coups
de marteau répétés retentissent au dehors; enfin, la porte en
chêne cède et le comte de Hun pénètre dans l'appartement,
accompagné d'un commissaire de police requis pour constater
le délit d'adultère. La scène qui suit est un phénomène d'épi-
lepsie larvée. Lionnette déchire les voiles qui cachent son
visage, lacère le fichu qui garantit ses épaules, dénoue sa splen-
dide chevelure qui se roule en spirales d'or sur son dos nu et
se dénonce comme coupable en termes d'un cynisme aussi
révoltant qu'inutile : « Oui, s'écrie-t-elle, je déclare que non
seulement je me suis donnée à M. Nourvady, parce que je
l'aimais, mais parce qu'il est riche et que je suis pauvre, et
qu'après avoir ruiné mon mari, je me suis vendue, incapable
que'j'étais de supporter la misère. Mon mari avait donc raison
quand il me traitait comme une prostituée. J'en suis une, et
très heureuse de l'être. Et si ce que je vous dis ne vous convainc
pas, s'il vous faut des preuves, en voilà ! (Elle trempe ses bras
nus dans l'or et en jette des poignées autour d'elle, à Jean.) Et
vous, monsieur, si vous avez besoin d'argent, prenez-en ; après
l'infamie que vous commettez en ce moment, il ne vous reste
plus que celle-là à commettre. » Il est évident pour tout le
monde, sauf pour le mari, que Lionnette ment avec effronterie,
et qu'elle se fait pire qu'elle n'est. Mais où est la raison d'une
conduite aussi incohérente et d'un langage aussi impertinent
dans l'exaltation? Surprendre sa femme chez un tiers avec
l'assistance du commissaire de police n'a rien de chevaleresque,
j'en conviens, et cela ne sent point précisément sa Table-Ronde.
Se battre en duel avec un gredin qui abat cinquante pigeons en
cinquante coups de fusil, et qui paye vos dettes malgré vous
pour avoir votre femme, n'est ni prudent ni logique, et il me
semble que Mme la princesse de Bagdad devrait s'estimer
très heureuse de ne point finir comme la femme de Claude,
ce qui arriverait infailliblement si ce pauvre Jean de Hun
mettait à exécution le « Tue-la » de M. Dumas fils. Le public,
malgré la touche vigoureuse des épisodes qui terminent
l'acte et qui trahissent la main d'un maître, le public s'est
cabré. Il s'est senti rudoyé, empoigné au collet et initié trop
brutalement aux complications de caractère , aux conflits
de tempérament, aux legs de race accumulés sur cette tète
folle de Lionnette. Il lui a déplu qu'une femme piétinât en
scène sur le devoir matrimonial et maternel, sans avoir
l'excuse d'une passion incoercible. Il s'est indigné qu'elle s'atta-
quât à ses préjugés de spectateur sans motif plausible, par coups
de folie, par flux d'orgueil et par reflux de vanité ; il s'est refusé
à se courber sous le joug, d'ordinaire si puissant, de M. Dumas,
et il s'est fâché tout rouge lorsque l'auteur, resserrant brusque-
ment tous les fils de l'intrigue, a frappé le grand coup final du
troisième acte.

Ce troisième acte est tout entier dans une scène, et la pièce
elle-même est tout entière dans le dénouement. Jusqu'à pré-
sent la thèse de M. Dumas fils n'avait été ni entrevue ni soup-
çonnée ; la voici qui éclate comme une bombe au milieu des
caprices effrayants de Lionnette. Irritée et affriolée à la fois par
 
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