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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 1)

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Carr, J. Comyns: Les grandes expositions d'hiver a Londres, [1]: Royal Academy of Arts, Burlington House, Winter Exhibition
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https://doi.org/10.11588/diglit.18877#0281

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2Ô2

L'ART.

l'ordre adopté pour le Catalogue, nous nous trouverons procéder
à l'encontre de toute chronologie, car les premiers essais des
grandes écoles sont, comme d'habitude, réunis dans la dernière
des galeries affectées à l'exposition. Mais là l'ensemble est loin
d'approcher des richesses des années précédentes ; il en est de
même pour la période des splendeurs finales des illustres écoles
italiennes, à l'exception, bien entendu, des deux Raphaël du
comte Cowper et des brillantes toiles décoratives de Paul Véro-
nèse empruntées aux collections de Lord Wimborne et de
l'Honorable R. Baillie Hamilton.

Ce sont les Hollandais, les Flamands, les Hollandais
surtout, et les Anglais qui font la force principale de cette
douzième exhibition rétrospective, et comme ces derniers
occupent pour la plupart la première salle, signalons immé-
diatement un ou deux des plus remarquables spécimens de notre
art national avant d'aborder la prodigieuse phalange des peintres
de genre néerlandais.

Lorsque nous nous reportons aux peintres anglais du siècle
dernier, c'est principalement à Reynolds et à Gainsborough que
nous songeons. Le nom de Hogarth nous vient après réflexion,
et Romney, avec toute sa grâce, n'a ni la puissance ni la variété
nécessaires pour entrer en compétition avec ses deux contem-
porains. C'est un des principaux attraits de cette exposition de
nous permettre d'apprécier des talents presque oubliés en com-
paraison de l'éclatante gloire des chefs de l'école, talents qui, I
cependant, produisirent en leur temps des œuvres bien vivantes
et de considérable mérite. Le portraitiste Francis Cotes, par
son élégant groupe de Buckingham Palace', nous initie à ce
qui se dégageait du sentiment intime de son époque pour aider j

au développement d'une grande école. L'individualité de l'artiste
est ici ce qui nous attache le moins; si cette toile a pour nous
un charme spécial, c'est qu'elle nous reflète ce qu'avaient
d'attraction, de séduction, les mœurs contemporaines. Cela
nous permet de nous rendre mieux compte de ce que doivent
des hommes d'un génie supérieur . tels que Reynolds et Gains-
borough, aux éléments pittoresques de beauté qu'ils trouvèrent
autour d'eux.

Le pendant de ce Cotes est un Copley, également de
Buckingham Palace2. Le portrait des trois jeunes filles de
Gjorges III est conçu avec plus d'originalité, avec plus de verve.
La gamme générale de la tonalité est affadie, voire môme mono-
tone, mais l'exécution est d'une brosse vigoureuse, sinon
magistrale. La composition brille par une rare habileté et par
une remarquable fraîcheur d'imagination; l'ensemble est un
témoignage très satisfaisant à l'appui de l'extrême renommée
dont Copley jouit de son temps. De semblables ouvrages
démontrent combien est instructive l'étude des meilleures créa-
tions des maîtres de second ordre.

Mais, en fait de tableaux, bien des gens font passer le plaisir
avant l'instruction, et en fait de plaisir, il n'est rien qui vaille le
dessus du panier... 11 est difficile en ce cas de s'arrêter long-
temps à un Cotes ou à un Copley, lorsque dans la même salle
se trouvent réunis les meilleurs spécimens, les plus beaux, les
plus caractéristiques de nos plus grands maîtres. Les Wood
G.itherers3 mériteraient d'être rangés parmi les chefs-d'œuvre
de Gainsborough'1, si cette merveilleuse toile était encore
intacte, mais préparée au bitume, elle a subi du temps les plus
cruels ravages; ses délicates harmonies de ciloris sont gravement

1. N° 142 : Portraits des Princesses Augusta et Caroline Matild.i, filles de Frederick, Prince de Galles.

Francis Cotes naquit en 1726 à Londres où sou père, ancien maire de Galway, était venu s'établir à la suite de dissentiments politiques, et exerçait la profession
de pharmacien.

Francis eut pour maître George Knapton, qui fut peintre en titre de la Dilettanti Society et conservateur des tableaux de la Couronne. Il obtint un véritable
succès de vogue comme portraitiste, fut un des fondateurs de la Royal Academy et, âgé seulement de quarante-cinq ans, mourut de la pierre le 20 juillet 1770, dans sa
maison de Cavendish Square, no 32, habitation qui fut ensuite occupée par Romney, puis par Sir Martin Shee. président de la Royal Academy.

Cotes a encore cette année, à Burlington House, une seconde toile appartenant à Sir William E. Welby Gregory, liai t. M. P. Ce sont The Chess-Players, cata-
logués sous le 1104g. Ces joueurs d'échecs représentent William E. Welby, Membre du Parlement pour Grantham. qui fut créé Baronet en iSot. et sa première
femme, Pénélope, troisième fille de Sir John Glynne, Bart. Le portrait de cette dernière est tout à fait charmant: le mari pèche malheureusement par des mains d'un
dessin fort peu irréprochable, mais le geste est d'une mimique excellente et dit éloquemment : « Echec et mat. »

2. N0 133 : Portraits des Princesses Mary, Sopliia et Ainelia, filles de George III.

John Singleton Copley naquit aux Etats-Unis, à Boston, alors colonie anglaise, le 3 juillet 1737, de parents irlandais. En 1774, déjà célèbre, il quitta l'Amérique
pour visiter l'Europe, et en 1775 il s'établit à Londres. En ï779 il devenait Royal Academician et ses deux tableaux de la Mort de Chatham et de la Mort du major
Pierson, appartenant tous deux à la National Gallery, lui assurèrent une immense réputation [I mourut le 9 septembre 1S15. Son fils devait devenir un jour Grand
Chancelier d'Angleterre et s'appeler Lord Lyudlmrst.

3. Les Ramasseurs de bois (n° 172 du Catalogue).

4. Thomas Gainsborough, né à Sudbury, dans le comlé de Sutfolk, en 1727, mourut le 2 août 17S8. Elève de Gravelot qui se trouvait alors à Londres, puis
de la Saint Martin's Lane Academy, et enfin de Frank Hayman, il fut l'un des membres fondateurs de la Royal Academy. Portraitiste et paysagiste, il a laissé
maints chefs-d'œuvre, parmi lesquels son portrait de Mislress Siddons de la National Gallery, et The Blue Boy appartenant au duc de Westminster, occupent le
premier rang. Théophile Thoré, l'éminent critique français qui fut une des victimes du second Empire et qui écrivit pendant son exil de si excellents ouvrages sous
le pseudonyme de W. Burger, Thorc a merveilleusement compris et loué Gainsborough dans ses Trésors d'art en Angleterre, publiés à l'occasion de la célèbre expo-
sition de Manchester de 1857. « Master Buttall, dit-il à propos du Blue Boy, Master Buttai!, c'est le nom de ce gentil garçon, habillé couleur de ciel, est debout, de
face, la main gauche contre la hanche, la droite tenant un chapeau à plumes, pendant le long de la jambe. Son costume de soie bleue est le plus coquet du monde,
'avec rubans pareils et menus enjolivements. Son visage est frais et éveillé comme ce'ui des plus charmantes fillettes de Watteau, et l'on dirait qu'il s'en va rejoindre

les groupes de Watteau dans les Amusements champêtres au marquis de Hertford. La santé, la bonne humeur, l'élégance et la beauté, il a tout ce qui convient pour
aller jouer avec les jeunes bergères Pompadour.

« Master Buttall, Dieu merci, est un autre gaillard que Master Lambton le mélancolique, qui eut tant de succès au Salon de 1824, à Paris, si je ne me trompe,
et qui valut à Sir Thomas Lawrence la décoration française. Le Blue Boy est de plus haute et de plus fine qualité; enfant de Rubens et de Van Dyck, de Velazquez
et de Watteau, s'il n'était le fils légitime de Gainsborough: tandis que le Boy rouge, de Lawrence, tient plutôt par alliance à M. Delaroche et à M. Dubufe.

« Gainsborough a gagné sa gageure contre Reynolds. Le bleu lui a mieux réussi qu'à Reynolds les plaques rouges. Il est vrai que cette espèce de colibri cha-
toyant, que Gainsborough a su peindre, est comme enveloppé d'une atmosphère harmonieuse qui éteint ses trop vives couleurs. C'est à l'artifice d'un fond de
paysage et de nuages, neutralisant par une heureuse combinaison de reflets et de clair-obscur les tons de la figure, que l'habile coloriste a dû de vaincre la difficulté.

<( Les vrais peintres n'ont d'ailleurs jamais craint les couleurs franches, et Gainsborough, sans prendre la peine de faire ce chef-d'œuvre, aurait pu se contenter
de montrer à son rival un des beaux portraits de Van Dyck, qui est précisément à l'Exhibition de Manchester, dans la galerie des portraits, n° 10S, et qui appar-
tient au comte Fitzwilliam : la reine Henriette, tout en bleu! >i

La rivalité de Reynoîds et de Gainsborough qui engendra leurs deux symphonies, l'une en rouge, l'autre en bleu — celle-ci tuant celle-là — vient de faire naître
deux rivalités dans un autre art à propos du chef-d'œuvre de Gainsborough.

L'an dernier, M. Charles Waltner avait gravé le Blue Boy, je n'ai pas à redire avec quel complet insuccès ; notre confrère M. Paul Leroi s'est chargé de
l'exposer avec juste sévérité, à propos du Salon de Paris. (Voir l'Art, 6» année, tome III, page 124.)

Un autre graveur éminent, M. Paul Rajon, s'e.t dit que l'eau-fortc devait pouvoir rendre et toutes les délicatesses, et tout le brio, et toute la maestria du
Blue Boy, et il a vaillamment, mais aussi très consciencieusement entrepris la revanche de la défaite de M. Waltner, Elève de M. Gaùcherêl, il s'est toujours souvenu
de l'invariable précepte de ce digne et excellent maître : l'art doit avant tout être traité avec conscience et respect. En ne s'écartant pas un seul instant de cette
noble règle. M. Rajon a produit une œuvre accomplie qui lui fait le plus grand honneur. Sa planche terminée et terminée en perfection, il l'a apportée à l'Art, qui a
regardé comme une bonne fortune de la publier. La tête de Master Buttall a bien autrement de caractère, bien autrement de jeunesse que dans l'eau-forte de
M. Waltner; les fonds ne sont pas charbonnés comme les avait littéralement éteints ce dernier; au lieu d'être déplorablement sacrifiés, ils conservent toutes leurs
qualités de clair-obscur, toute leur valeur d'enveloppe qui contribue si puissamment à l'harmonie de toute la peinture, ainsi que Bjrger l'a si sagacement indiqué.
La délicatesse des demi-teintes est extrême chez M. Rajon et d'une étonnante justesse d'interprétation ; il en est de même de sa façon de rendre la finesse de tous les
plis dont il n'escamote, lui, pas le moindre. Voyez aussi le faire des jambes qui est charmant et rappelle adorablement la manière de Watteau. Bref, The Blue Boy est
une des plus belles planches de M. Rajon, toute blonde, toute savoureuse, tandis que l'estampe de M. Waltner, grâce au Fa presto, voit ses qualités disparaître sous
un ensemble qu'on dirait traité au charbon. La belle choïc que la conscience ! Elle engendre œuvre d'art, c'est-à-dire œuvre durable, œuvre immortelle !
 
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