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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 1)

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Heulhard, Arthur: Art dramatique, [4]: Gymnase: La Noce d'Ambroise - Gaité: Lucrece Borgia Tibère
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296 L'ART.

décor que je signale représente la place du palais ducal, au
temps où Ferrare était ville vivante. Il étonnera par la vivacité
du ton ceux qui, comme moi, connaissent Ferrare, ville morte
où le soleil lui-même s'ennuie.

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M. Ferdinand Dugué vient de publier en librairie le drame
de Tibère, désespérant de le voir jamais jouer. Sous l'Empire,
une censure implacable, redoutant les allusions, interdit la
représentation de Tibère à l'Odéon, à l'Ambigu, à la Porte-
Saint-Martin et h la Gaîté. Ainsi, sous le régime impérial, quatre
directeurs, qui étaient Alphonse Royer, Chilly, Marc Fournier
et Hostein, offrirent leur scène à l'auteur, et quatre fois, malgré
l'appui de M. Camille Doucet, chef de la division des théâtres,
la censure opposa son veto.

Dans ces conditions, qui ne se sont point améliorées sous la
République, M. Dugué se décide à faire appel de cette étrange
décision devant le public, son juge naturel. La politique passe
hors de portée de ce recueil, et nous n'entrerons pas dans le
procès de tendance que le bureau de la censure fit, il y a dix
ans, à l'ouvrage de M. Dugué ; le lecteur, selon le tour particu-
lier de sa conscience, saura déterminer son opinion d'après la
rapide analyse que nous allons donner de Tibère. Pour nous,
libre de tout souci rétrospectif, nous ne voyons dans Tibère
qu'une pièce en cinq actes et huit tableaux, revêtue du nom
d'un de nos plus féconds dramaturges.

L'action s'ouvre sur une conspiration des patriciens romains
révoltés contre Tibère. Nerva le républicain a soulevé la garde
prétorienne avec la complicité de Caligula, le neveu et l'héri-
tier présomptif du trône. Il a entraîné dans le complot les
citoyens les plus influents par leurs biens ou leurs personnes :
Aurèle, ^Eneas, Natalis, Porcius, Evandre et Sénécion. Us sont
réunis devant la maison de l'esclave Procula, qui leur a fourni
des armes fabriquées par lui. Ils attendent, pour se déclarer, le
passage du cadavre du sénateur Plaute qu'on va traîner aux
gémonies sur l'ordre du tyran. Nerva, qui a besoin de tous ses
moyens d'action, a fait conduire sa fille Blandine au temple de
Vesta, lieu d'asile. Mais Blandine, à l'insu de son père, a renoncé
aux dieux de Rome ; elle est chrétienne. En allant au temple
de Vesta, elle perd la petite croix d'argent qui est le symbole de
sa foi. Pendant ce temps, le cadavre de Plaute est amené, traîné
sur la claie. Nerva, dans un discours de funérailles, excite le
peuple à renverser Tibère, lorsque débouche la garde préto-
rienne, commandée par Caligula, qui arrête par trahison l'ora-
teur et ses complices. Tibère lui-même survient, sous un dégui-
sement de vieillard et accompagné d'une femme qui tiendra
beaucoup de place dans l'action ; il lève le capuchon qui lui
couvre le visage et se fait reconnaître. Ainsi, d'un seul coup de
filet, il s'est emparé non seulement de Nerva, son plus mortel
ennemi, mais encore de Blandine; car la pauvre fille, en reve-
nant sur ses pas pour chercher l'objet qu'elle a laissé tomber,
est arrêtée avec son père. Tibère emmène les conjurés dans son
île de Caprée, où il leur réserve un châtiment de sa façon. Au
départ, un homme se précipite auprès de Tibère : c'est Procula :
« Ne m'oublie pas, César, dit-il. — Qui donc es-tu ? — Leur
complice, car c'est moi qui ai vendu les armes. — A Caprée ! »
s'écrie Tibère.

Dans cette exposition, la grande expérience scénique de
M. Dugué se retrouve tout entière, avec ses aptitudes naturelles
à nouer vigoureusement les intrigues et à mettre les personnages
en branle. S'il n'a pas une science approfondie du monde antique,
il y supplée par le don de l.i divination historique qu'ont les ima-
ginations bien douées pour le théâtre. Mais j'ai été on ne peut
plus stupéfait de lire la réplique suivante placée dans la bouche
du philosophe Sénécion : t Y aurait-il dans l'auditoire un joueur
de flûte pour me donner le la ? » Il m'a paru que Sénécion

empiétait outrageusement sur le domaine de ce bon Gui d'Arezzo
qui inventa la gamme, au dire des annalistes !

Poursuivons. Nous apprenons, à l'acte deuxième, dans quel
puissant intérêt Procula, l'esclave, a suivi les patriciens à Caprée.
C'est qu'il aime avec passion la fille de Nerva. Tibère l'ayant
adjugée à un autre esclave, Brogitar, Procula se rue sur son rival et
le tue net. Les deux tableaux qui succèdent à ce coup de théâtre
ont pour but de nous initier au duel dynastique de Tibère et de
Caligula, ainsi qu'aux fêtes sanglantes de la décadence romaine.
Une partie des victimes de Tibère est frappée à table, le verre
en main, l'autre est marquée pour les plaisirs du cirque. Blan-
dine (Pauline dans Polyeucte), ayant insulté les dieux de Tibère
et renversé leurs images, est vouée aux lions. Mais Procula se
charge de la sauver. Nerva lui révèle qu'il est de race gauloise,
qu'il est fils des rois d'Aquitaine et qu'il s'appelle Vindex. De
plus, une esclave gauloise, nommée Kiomara, que nous avons
vue accompagner Tibère au premier acte et approuver tous ses
crimes par haine des Romains, se dévoue au salut de ce Vindex.
En attendant, on entraîne Blandine dans l'arène. Ici, la mise en
scène exigée par M. Dugué dépasse les bornes du possible :
« Deux lions furieux se précipitent dans l'arène en rugissant;
un gladiateur les attaque, met le premier en fuite et engage
une lutte corps à corps avec le second : ils disparaissent un
instant; puis, le gladiateur revient traînant le cadavre du lion
qu'il jette aux pieds de Blandine. Une immense acclamation
s'élève de tous les gradins » et salue le gladiateur, qui n'est
autre que Vindex. Vous sentez bien qu'il faudrait se servir de
lions en baudruche du plus pitoyable effet, ou engager spéciale-
meot Bidel, s'il consentait h ce périlleux manège, et alors, adieu
l'esthétique théâtrale! En revanche, des scènes excessivement
remarquables se déroulent avec le quatrième acte, où l'ambition
de Caligula, doublée et comme attisée par l'imbécile cruauté de
son oncle, n'écoute déjà plus les conseils de la prudence. Je
voudrais vous citer les conversations presque shakespeariennes
du jeune prince avec Albin, espion de Tibère, et avec Tibère
lui-même : il y a là le souffle du grand drame et je suis
convaincu qu'au théâtre, ce superbe combat de la ruse et du
mensonge, de la dissimulation et du parjure, cette terrible
confrontation morale d'êtres qui se jetteraient l'un sur l'autre
s'ils osaient s'avouer ce qu'ils pensent, ces grandes peintures du
vice, en un mot, feraient trembler le spectateur plus que tous
les lions de l'Atlas répandus dans le cirque. A ces scènes capitales
succèdent des complications purement mélodramatiques telles
qu'il s'en rencontre dans le répertoire du théâtre Beaumar-
chais. Quelques-unes sont peu dignes de la grandeur du sujet,
et hurlent d'être accouplées aux beaux dialogues que je signalais
tout à l'heure. L'ouvrage, soutenu par des épisodes habilement
agencés, touche à sa fin ; Vindex échappe au fer des assassins que
lui dépèchent tour à tour Tibère et Caligula, puis, Kiomara
révèle à Vindex qu'elle est sa sœur, qu'elle est devenue la
maîtresse de Tibère après avoir été réduite en esclavage, et que
l'heure de la vengeance a enfin sonné la Gaule. Il faut que
Vindex frappe lui-même le tyran : au moment où il lève l'épée
sur l'empereur, Blandine accourt et se jette entre eux (on voit
poindre en elle le dogme de la charité chrétienne). Tibère n'est
que blessé, Vindex est fait prisonnier, et, après des péripéties
parfois subtiles, la toile tombe sur l'agonie de Tibère et le
triomphe de Caligula, qui fait grâce aux Gaulois, à Vindex, a
Blandine et à Kiomara.

Je ne puis prévoir le sort qui attend Tibère au théâtre. La
lecture attentive à laquelle je me suis livré me permet d'en bien
augurer ; il serait bon que l'épreuve fût tentée avec Taillade
dans le rôle du tigre couronné.

Arthur Heulhard.
 
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