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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 3)

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Sarcey, Francisque: Mes Maitres de musique
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https://doi.org/10.11588/diglit.16676#0035

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MES MAITRES DE MUSIQUE

p e tut, dès le jour où je naquis, l'idée fixe de mon pauvre père de faire de
i) moi un grand artiste. Il n'hésitait que sur le choix de l'art où je devais
m'illustrer. Serais-je un peintre, un sculpteur ou un musicien? Mon père,
au fond de son cœur, penchait pour la musique. Ce n'est pas qu'il n'ad-
mirât sincèrement les portraits de Dubufe, et qu'il ne senft pour les
compositions de Biard un enthousiasme que l'on comprendra aisément,
quand on saura qu'il avait appris le b a ba sur les mêmes bancs que le
Q^^S-SD''" — populaire auteur du Bon gendarme et des Comédiens ambulants. Mais il

avait un faible pour Dalayrac et Nicolo. Il avait, en son enfance, reçu quelques leçons de chant dans
une des maîtrises de Lyon; son éducation avait été interrompue par les nécessités de la vie; il était
le onzième enfant d'une famille de canuts lyonnais. Ce n'était pas le tout de chanter; il fallait vivre,
et on l'avait mis de bonne heure au métier. Il avait bravement poussé la navette jusqu'au jour où,
s'ennuyant au logis, il s'était engagé par coup de tête. Il avait dix-sept ans et il était horriblement
myope. Mais à cette époque-là on n'y regardait pas de si près.

Il avait toute sa vie conservé le goût de la musique sans avoir jamais eu le temps de l'apprendre.
Il savait par cœur toute la clé du Caveau, et il n'y avait guère d'opéra-comique dont il ne chantât tous
les morceaux. Ah! Martin! ah! Elleviou! quels hommes! et il disait tout leur répertoire. Je le vois
encore me prenant sur ses genoux et me chantant

Apollon toujours préside
Au choix de mes voyageurs

des Voitures versées, ou c'était bien du chambertin! du Nouveau seigneur de village, et moi, ravi, j'écou-
tais de toutes mes oreilles et lui disais : Encore, père, encore!

Je n'eus pas atteint ma septième année qu'il fut avéré que je ne serais jamais peintre. Mon père
s'aperçut avec chagrin que j'étais encore plus myope que lui. Il avait d'énormes lunettes d'argent qu'il
ne quittait jamais. 11 paraît qu'un matin, en jouant, je les lui ôtai de dessus le nez et les chaussai sur
le mien. Je poussai un cri d'étonnement et de joie. Je voyais. Cette découverte désola mon père, qui
avait beaucoup souffert de sa myopie, et qui prévoyait pour moi les mêmes ennuis. Il fallut bien se
rabattre sur la musique, car le premier outil du peintre, c'est l'œil.

J'avais la voix juste; c'était déjà quelque chose. 11 s'agissait de me trouver un maître, de déve-
lopper chez moi les heureuses dispositions que mon père se plaisait à y supposer. Mon père était maître
de pension à Dourdan. Dourdan est une agréable petite ville, qui n'est guère qu'à 46 kilomètres de
Tome III. .
 
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