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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 3)

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239

nales,étude à laquelle je n'avais pu me livrer jusque-là assez com-
plètement. C'est ainsi que ce livre, destiné dans ma première
intention à n'être qu'un exposé succinct de la doctrine antique,
sans visées à l'originalité, est devenu à la longue un traité com-
plet, embrassant le sujet dans ses moindres détails, et le plus
étendu apparemment de tous ceux qui ont jamais été consacrés à
la musique grecque.

« Je ne me dissimule pas la difficulté d'éveiller l'intérêt pour une
science aussi peu en faveur parmi les artistes. Ce n est pas de nos
jours qu'un écrivain croirait donner plus d'autorité à ses doctrines
musicales en les couvrant du nom d'Aristoxène, de Ptolémée ou
de Boëce. Le discrédit qui a succédé à l'engouement dont la
théorie des Grecs fut l'objet pendant tout le moyen âge et jus-
qu'au milieu du xvmc siècle tient à plusieurs causes.

« La première et la principale est la direction nouvelle que la
musique a prise depuis trois siècles, et, par suite, notre peu
d'aptitude à faire abstraction du goût moderne, tourné de préfé-
rence vers les combinaisons harmoniques et instrumentales. En
littérature, comme dans les arts plastiques, le xixe siècle a appris
à goûter les productions de toutes les races, déroutes les époques.
En musique, un tel éclectisme n'existe pas encore, tant s'en faut.
Seules les personnes sensibles aux beautés particulières de la
mélodie homophone, liturgique ou populaire, sont disposées à
prendre au sérieux un art où la polyphonie et l'instrumentation
jouent un rôle à peu près nul.

« Une seconde cause de la défaveur que je signale résulte de
l'aridité et des difficultés inhérentes à une telle étude. Quoi de
plus rebutant au premier abord que la terminologie musicale des
Grecs? Et quant aux sources d'information, combien leur accès
est difficile! Les livres spéciaux sont écrits en général par des
philologues et en vue de lecteurs hellénistes ; aussi peut-on les
considérer comme n'existant pas pour l'immense majorité des
musiciens.

« Enfin, une autre raison de discrédit est le doute sur le carac-
tère positif des résultats obtenus jusqu'à ces derniers temps. Qui
ne se rappelle les solutions contradictoires proposées tour à tour
relativement au mécanisme des modes et des tons, des genres et
des nuances, relativement à l'existence ou à la non-existence de
la polyphonie chez les anciens !

« Toutes ces causes réunies ont donné naissance à une opinion
devenue proverbiale et qui s'exprime ordinairement ainsi : « On
» ne sait rien de certain en ce qui concerne la musique des an-
« ciens. Ce qu'on peut en apprendre ne présente aucun intérêt
« pour le musicien moderne. » ,

« La lecture de notre ouvrage suffira, j'en ai la confiance, à
démontrer l'inanité de ces assertions. Pour ne parler d'abord que
de la première, disons que, si elle pouvait avoir une apparence
de vérité il y a quarante ans, aujourd'hui il n'en est plus de même.
Grâce aux travaux de Vincent, de Bellermann et de Westphal,
l'étude de la musique grecque est entrée dans une nouvelle phase ; les
points les plus obscurs de la théorie harmonique ont été éclaircis ;
la partie rhythmique de quelques grandes compositions drama-
tiques est reconstituée avec une certitude suffisante; la pratique
musicale se dégage peu à peu des épais nuages qui l'entouraient ;
enfin, les caractères essentiels de l'art à ses diverses périodes ont
pu être déterminés.

« Est-ce à dire que l'ancienne musique des Hellènes revit pour
nous au même degré que leurs arts plastiques? Evidemment non.
Il reste dans nos connaissances une lacune énorme, qui ne pour-
rait être comblée que par la découverte inespérée de quelques
compositions remontant à la période classique de l'art grec.
L'unique fragment attribué à un âge aussi reculé — la mélodie
d'une demi-strophe de Pindare — est d'une authenticité dou-
teuse; il est d'ailleurs trop peu étendu pour qu'on puisse en tirer
de grandes lumières.

« Supposons que l'invasion des barbares au v siècle n'eût
épargné aucun édifice antérieur au siècle d'Auguste, et que, pour
étudier l'architecture grecque, nous n'eussions que les théories de

Vitruvc, d'une part, et, de l'autre, quelques constructions médiocres
du ir et du nr siècle. Tel est, à peu de chose près, le problème
désespérant qui s'offre à l'historien de la musique gréco-romaine.

« Il importe donc de ne pas se faire illusion sur les résultats
possibles de notre genre d'études. Ce que nous pouvons savoir
est bien peu de chose en comparaison de ce que nous sommes
condamnés à ignorer toujours, et ne satisfait notre curiosité que
dans une mesure des plus restreintes. Mais il serait déraisonnable
de prétendre que, ne pouvant tout connaître, le vrai sage doive
se résoudre à tout ignorer. S'il ne nous est pas donné de faire
revivre l'art antique dans son ensemble, nous pouvons au moins
en recomposer quelques parties, ressaisir sa forme extérieure,
nous former une idée assez nette de ses moyens d'exécution,
apprendre à mieux connaître et apprécier les produits secondaires
qui nous en restent, nous initier enfin à sa théorie si ingénieuse
et si instructive. Certes, de tels résultats ne sont pas à dédaigner.

« Est-il besoin de plaider l'intérêt historique que présente cette
étude? Nous ne le pensons pas. Une connaissance suffisante des
doctrines musicales des Grecs est le préliminaire indispensable de
toute recherche approfondie sur le passé de notre art. Sans parler
du système musical des Arabes et des Persans, emprunté sans
aucun doute à la Grèce, il est certain que la musique primitive de
l'Eglise latine n'est autre que celle de la Rome contemporaine. A
son tour, cette musique chrétienne, après une série de transfor-
mations insensibles, est devenue la nôtre. Ainsi, par un phéno-
mène des plus extraordinaires, l'art moderne et innovateur par
excellence, celui qui semble le plus affranchi de toute tradition,
se rattache sans aucune interruption au monde païen, tandis que
la sculpture et l'architecture, dominées encore aujourd'hui par les
principes antiques, ont dû retrouver ces principes à une époque
relativement récente. On ne peut donc avoir la pleine intelligence
des origines, des formes et des théories de notre art, embrasser
les diverses phases de son développement historique, sans remonter
à sa source primitive.

« Quant au profit esthétique qu'on peut tirer d'une telle étude,
il est également hors de doute. Un musicien qu'on ne soupçon-
nera pas d'un enthousiasme excessif pour le passé exprime cette
opinion en termes excellents : « Il n'est pas possible, » dit
Richard Wagner, dans son grand ouvrage sur le drame musical,
« de réfléchir tant soit peu profondément sur notre art, sans
« découvrir ses rapports de solidarité avec celui des Grecs. En
« vérité, l'art moderne n'est qu'un anneau dans la chaîne du
j développement esthétique de l'Europe entière, développement
« qui a son point de départ chez les Hellènes. » Remarquons,
en effet, qu'à aucune période de son histoire, la musique occi-
dentale n'a pu se soustraire aux influences antiques ; au moment
même où, vers la fin du moyen âge, elle achevait de secouer le joug
des théories de la Grèce, elle recommençait plus que jamais à subir
l'ascendant de ses doctrines esthétiques. On peut dire que c'est
la grandeur de l'esprit antique d'avoir fait sentir son action
fécondante dans les grandes crises qui, à des siècles de distance,
ont renouvelé la face de l'art. Depuis le xvn" siècle, routes les
révolutions dans le drame musical onc consisté à se rapprocher
de l'idéal de la tragédie antique : Péri, Gluck et Wagner sont à
ce titre même les disciples des anciens. Ce dernier, le plus hardi
novateur de notre temps, n'a-t-il pas l'ambition de réunir en
lui la double personnalité du poète-musicien dramatique, comme
Eschyle et Sophocle ?

« Ainsi l'esthétique, non moins que l'histoire, nous ramène à
l'étude de l'antiquité. Juger c'est comparer : or, en ce qui con-
cerne la musique, les monuments qui doivent servir de termes de
comparaison sont renfermés dans une période de temps trop
limitée. Ce n'est qu'en élargissant autant que possible le champ
de nos investigations que nous serons mis en état d'apprécier en
quoi la conception musicale des modernes est supérieure à celle
des anciens, en quoi elle lui est inférieure ; et c'esc ainsi seule-
ment que nous acquerrons des idées plus précises, plus justes
sur le passé et sur l'avenir de notre art.
 
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