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L'ART.
surfaces planes, les courbes re'gulières elles-mêmes, la symétrie,
la régularité sous toutes leurs formes, étaient absolument pros-
crites. Rien de ce qui peut se résoudre par une formule mathé-
matique n'était admis dans ce style baroque, « rocaille», comme
on l'a nommé depuis, dont les aspérités sans nombre et les
formes contournées fatiguent l'œil, autant qu'à l'usage elles
doivent blesser la main. Quelques artistes habiles, quelques bons
ciseleurs traitaient certainement avec grâce le nu de la figure
humaine, mais cette grâce elle-même était mêlée de tant d'affé-
terie, qu'elle était là comme une nouvelle preuve de la déca-
dence du goût. »
Après ce second Ballin, qui peut être regardé comme un
trait d'union entre le xviii0 siècle et le siècle précédent, nous
voyons surgir dans l'orfèvrerie deux artistes, ou plutôt deux
groupes d'artistes, se rattachant, les uns à Germain, les autres
à Meissonier. A notre avis, Germain a un talent infiniment plus
distingué, mais comme Meissonier nous semble caractériser
beaucoup mieux la tendance et le goût de son temps, nous en
parlerons en premier. « En feuilletant l'œuvre de Meissonier,
dit M. A. Darcel, on voit que l'on n'a affaire qu'à un décorateur,
bien qu'on y trouve une foule de modèles pour vaisselle reli-
gieuse, vaisselle de table et bijouterie, comme tabatières,
pommes de canne à cannelures en spirale et poignées d'épées.
Cependant la nécessité, triste contrainte pour des gens de cette
trempe, de fournir aux exécutants des modèles qu'ils pussent
mettre en œuvre et aux acheteurs des pièces dont ils pussent
se servir, a réfréné parfois l'intempérance de Meissonier. Il y a
une imagination presque assagie, eu égard au goût de l'époque,
dans la cuvette et la nef composées pour le roi, et dans le
modèle d'un seau à rafraîchir dont les deux sirènes forment les
anses, qu'il dessina en 1723. Cependant nous devons noter
comme modèle d'extravagance dans le jet des rocailles qui
se hérissent autour des pièces, trop semblables à des amas de
rocs et de glaçons, le surtout composé en 1735 pour le duc de
Kensington. Pour cette orfèvrerie, où l'on sent une recherche si
peu intelligente de la nature que les qualités du métal y dispa-
raissent, sinon dans l'exécution, qui est généralement fine et
précieuse, du moins dans la composition, il fallait des ornements
pris sur le vif des choses. Aussi Meissonier a-t-il publié un
Livre de légumes disposés en groupe, tels qu'on les retrouve
encore servant de bouton au couvercle des casseroles à légumes
et des soupières. »
Meissonier avait certainement exagéré ses tendances, mais
les principes auxquels il prétendait rattacher l'art ornemental
dans l'orfèvrerie n'étaient pas mauvais en eux-mêmes, puisqu'ils
répondent en somme à une des époques les plus brillantes de
nos industries d'art, et notamment de l'orfèvrerie.
L'emploi des fleurs, des fruits, et même des animaux, rendus
avec une grande rigueur d'observation, mais présentant toujours
de belles dispositions décoratives, est le principal caractère de
cette belle orfèvrerie française du xvni° siècle, dont l'époque la
plus brillante peut être fixée aux alentours de 1730. Une superbe
terrine, qui a passé successivement dans les collections Pichon
et San Donato, nous en offre un brillant spécimen. Ses pieds
fourchus, d'où s'échappe une tige de céleri, reposent sur un pla-
teau ovale dont les bords sont enrichis de feuillage. Sur le cou-
vercle sont jetés, autour d'une orange garnie de son feuillage,
des ortolans-, des huîtres, des truffes, des champignons, des arti-
chauts et des poissons modelés dans la perfection.
Sur une autre pièce du même genre, on voit sur le cou-
vercle une carotte et des oignons formant centre, et des épis
groupés autour avec divers feuillages, tandis que la panse est
décorée de feuilles de chêne et de laurier. Ailleurs c'est un
chou qui est le point de départ de cette décoration, qui est très
variée dans ses détails, mais dont le principe ornemental est
toujours le même.
Ailleurs c'est un artichaut isolé qui décore le haut du cou-
vercle, et cet isolement n'est même pas très heureux, si on veut
le comparer aux groupes de plantes, de fruits et d'animaux, que
nous avons vus précédemment.
On est un peu surpris de trouver un écusson de la maison
Demidoff dans une magnifique soupière, due à l'orfèvre Antoine-
Jean de Villeclair, reçu maître en 1750; mais cette belle pièce,
qui faisait partie des collections de San Donato, avait reçu pri-
mitivement un écusson français qui a été, recouvert depuis. Le
couvercle est formé d'un chien entouré de gibiers et de divers
attributs de la chasse. On a pu remarquer déjà que ce genre de
décoration est extrêmement fréquent dans l'orfèvrerie de table à
cette époque.
Les pièces que nous avons jusqu'ici sont d'un style très
riche, quelquefois même un peu surchargé, qui caractérise très
bien une des faces du xvin0 siècle, mais qui ne l'absorbe pas
d'une manière aussi exclusive qu'on l'a prétendu quelquefois.
Ce mode contourné devient certainement un peu fatigant, à la
longue, mais il l'est moins que l'affectation de simplicité qui est
venue à la mode un peu plus tard et qui était bien voisine de la
raideur.
Nous avons parlé plus haut de Germain. Ce nom est celui
d'une famille d'orfèvres dont plusieurs ont eu un très grand
talent, quoique l'un d'eux, Thomas Germain, ait éclipsé les
autres par son immense réputation. C'est en parlant de Thomas
Germain que Voltaire a dit :
1......Et ces plats si cliers, que Germain
A gravés de sa main divine......)
Le succès de Th. Germain fut immense, et toutes les cours
de l'Europe lui demandaient ses ouvrages et sacrifiaient au bon
goût du jour. « Ce qu'était ce bon goût et ce qu'étaient ces
œuvres, dit A. Darcel, Th. Germain a pris1 soin de nous le mon-
trer dans les éléments d'orfèvrerie qu'il publia chez lui, place du
Carrousel, à l'orfèvrerie du roi, en 1748, l'année même de sa
mort. Ce recueil, divisé en deux parties, orfèvrerie d'église et
orfèvrerie de table, est bien la réunion des plus réjouissantes
fantaisies que l'on puisse rêver. Germain, qui, dans un court
avant-propos, annonce qu'il procédera toujours du simple au
composé, semble avoir toujours eu grand souci des contours.
Ceux-ci sont presque toujours coulants et arrondis, malgré les
rocailles au ton mat dont le fond poli des pièces est surchargé,
et il est rare qu'une moulure solide vienne en interrompre la
ligne serpentine. En même temps que ses propres compositions,
Th. Germain a publié quelques pièces du service que Jacques
Roettiers exécuta pour le Dauphin, pièces qui ne se distinguent
de celles du maître que par un emploi plus grand de la figure
humaine, mais ce sont toujours les mêmes formes contournées,
le même abus de ce style qu'un seul mot suffit à caractériser et
qu'on appelle rocaille.
Le père de Th. Germain s'appelait Pierre, et il avait
obtenu, à la fin du règne de Louis XIV, une assez grande célé-
brité comme orfèvre. Le fils de Th. Germain, dont le prénom
est également Pierre, eut à son tour une assez grande répu-
tation, en sorte que le nom de Germain revient pendant tout le
cours du xvin0 siècle dès qu'il s'agit d'orfèvrerie. Comme il y a
fort peu de pièces de Thomas dont l'authenticité soit bien
établie, les amateurs se rejettent assez volontiers sur l'un des
deux Pierre, lorsqu'il s'agit de désigner l'auteur d'un vase ou
d'un plat d'argent qui leur semble mériter un nom illustre.
Faut-il accepter le nom de Germain pour une aiguière, très
jolie d'ailleurs, qui a fait partie de la fameuse collection de San
Donato ? En tout cas, l'auteur de cette aiguière est assurément
un orfèvre d'un grand mérite.
La présence d'écussons armoriés sur le milieu de la pièce
est un des caractères de l'orfèvrerie au xvin" siècle. La couronne
héraldique qui les surmonte se mêle aux feuillages et aux roseaux
qui recouvrent les aiguières, dont le bec s'enrichit de feuilles
d'acanthe. Tout cet ensemble, finement ciselé, produit le plus
heureux effet.
On attribue également à Pierre Germain un charmant sucrier
L'ART.
surfaces planes, les courbes re'gulières elles-mêmes, la symétrie,
la régularité sous toutes leurs formes, étaient absolument pros-
crites. Rien de ce qui peut se résoudre par une formule mathé-
matique n'était admis dans ce style baroque, « rocaille», comme
on l'a nommé depuis, dont les aspérités sans nombre et les
formes contournées fatiguent l'œil, autant qu'à l'usage elles
doivent blesser la main. Quelques artistes habiles, quelques bons
ciseleurs traitaient certainement avec grâce le nu de la figure
humaine, mais cette grâce elle-même était mêlée de tant d'affé-
terie, qu'elle était là comme une nouvelle preuve de la déca-
dence du goût. »
Après ce second Ballin, qui peut être regardé comme un
trait d'union entre le xviii0 siècle et le siècle précédent, nous
voyons surgir dans l'orfèvrerie deux artistes, ou plutôt deux
groupes d'artistes, se rattachant, les uns à Germain, les autres
à Meissonier. A notre avis, Germain a un talent infiniment plus
distingué, mais comme Meissonier nous semble caractériser
beaucoup mieux la tendance et le goût de son temps, nous en
parlerons en premier. « En feuilletant l'œuvre de Meissonier,
dit M. A. Darcel, on voit que l'on n'a affaire qu'à un décorateur,
bien qu'on y trouve une foule de modèles pour vaisselle reli-
gieuse, vaisselle de table et bijouterie, comme tabatières,
pommes de canne à cannelures en spirale et poignées d'épées.
Cependant la nécessité, triste contrainte pour des gens de cette
trempe, de fournir aux exécutants des modèles qu'ils pussent
mettre en œuvre et aux acheteurs des pièces dont ils pussent
se servir, a réfréné parfois l'intempérance de Meissonier. Il y a
une imagination presque assagie, eu égard au goût de l'époque,
dans la cuvette et la nef composées pour le roi, et dans le
modèle d'un seau à rafraîchir dont les deux sirènes forment les
anses, qu'il dessina en 1723. Cependant nous devons noter
comme modèle d'extravagance dans le jet des rocailles qui
se hérissent autour des pièces, trop semblables à des amas de
rocs et de glaçons, le surtout composé en 1735 pour le duc de
Kensington. Pour cette orfèvrerie, où l'on sent une recherche si
peu intelligente de la nature que les qualités du métal y dispa-
raissent, sinon dans l'exécution, qui est généralement fine et
précieuse, du moins dans la composition, il fallait des ornements
pris sur le vif des choses. Aussi Meissonier a-t-il publié un
Livre de légumes disposés en groupe, tels qu'on les retrouve
encore servant de bouton au couvercle des casseroles à légumes
et des soupières. »
Meissonier avait certainement exagéré ses tendances, mais
les principes auxquels il prétendait rattacher l'art ornemental
dans l'orfèvrerie n'étaient pas mauvais en eux-mêmes, puisqu'ils
répondent en somme à une des époques les plus brillantes de
nos industries d'art, et notamment de l'orfèvrerie.
L'emploi des fleurs, des fruits, et même des animaux, rendus
avec une grande rigueur d'observation, mais présentant toujours
de belles dispositions décoratives, est le principal caractère de
cette belle orfèvrerie française du xvni° siècle, dont l'époque la
plus brillante peut être fixée aux alentours de 1730. Une superbe
terrine, qui a passé successivement dans les collections Pichon
et San Donato, nous en offre un brillant spécimen. Ses pieds
fourchus, d'où s'échappe une tige de céleri, reposent sur un pla-
teau ovale dont les bords sont enrichis de feuillage. Sur le cou-
vercle sont jetés, autour d'une orange garnie de son feuillage,
des ortolans-, des huîtres, des truffes, des champignons, des arti-
chauts et des poissons modelés dans la perfection.
Sur une autre pièce du même genre, on voit sur le cou-
vercle une carotte et des oignons formant centre, et des épis
groupés autour avec divers feuillages, tandis que la panse est
décorée de feuilles de chêne et de laurier. Ailleurs c'est un
chou qui est le point de départ de cette décoration, qui est très
variée dans ses détails, mais dont le principe ornemental est
toujours le même.
Ailleurs c'est un artichaut isolé qui décore le haut du cou-
vercle, et cet isolement n'est même pas très heureux, si on veut
le comparer aux groupes de plantes, de fruits et d'animaux, que
nous avons vus précédemment.
On est un peu surpris de trouver un écusson de la maison
Demidoff dans une magnifique soupière, due à l'orfèvre Antoine-
Jean de Villeclair, reçu maître en 1750; mais cette belle pièce,
qui faisait partie des collections de San Donato, avait reçu pri-
mitivement un écusson français qui a été, recouvert depuis. Le
couvercle est formé d'un chien entouré de gibiers et de divers
attributs de la chasse. On a pu remarquer déjà que ce genre de
décoration est extrêmement fréquent dans l'orfèvrerie de table à
cette époque.
Les pièces que nous avons jusqu'ici sont d'un style très
riche, quelquefois même un peu surchargé, qui caractérise très
bien une des faces du xvin0 siècle, mais qui ne l'absorbe pas
d'une manière aussi exclusive qu'on l'a prétendu quelquefois.
Ce mode contourné devient certainement un peu fatigant, à la
longue, mais il l'est moins que l'affectation de simplicité qui est
venue à la mode un peu plus tard et qui était bien voisine de la
raideur.
Nous avons parlé plus haut de Germain. Ce nom est celui
d'une famille d'orfèvres dont plusieurs ont eu un très grand
talent, quoique l'un d'eux, Thomas Germain, ait éclipsé les
autres par son immense réputation. C'est en parlant de Thomas
Germain que Voltaire a dit :
1......Et ces plats si cliers, que Germain
A gravés de sa main divine......)
Le succès de Th. Germain fut immense, et toutes les cours
de l'Europe lui demandaient ses ouvrages et sacrifiaient au bon
goût du jour. « Ce qu'était ce bon goût et ce qu'étaient ces
œuvres, dit A. Darcel, Th. Germain a pris1 soin de nous le mon-
trer dans les éléments d'orfèvrerie qu'il publia chez lui, place du
Carrousel, à l'orfèvrerie du roi, en 1748, l'année même de sa
mort. Ce recueil, divisé en deux parties, orfèvrerie d'église et
orfèvrerie de table, est bien la réunion des plus réjouissantes
fantaisies que l'on puisse rêver. Germain, qui, dans un court
avant-propos, annonce qu'il procédera toujours du simple au
composé, semble avoir toujours eu grand souci des contours.
Ceux-ci sont presque toujours coulants et arrondis, malgré les
rocailles au ton mat dont le fond poli des pièces est surchargé,
et il est rare qu'une moulure solide vienne en interrompre la
ligne serpentine. En même temps que ses propres compositions,
Th. Germain a publié quelques pièces du service que Jacques
Roettiers exécuta pour le Dauphin, pièces qui ne se distinguent
de celles du maître que par un emploi plus grand de la figure
humaine, mais ce sont toujours les mêmes formes contournées,
le même abus de ce style qu'un seul mot suffit à caractériser et
qu'on appelle rocaille.
Le père de Th. Germain s'appelait Pierre, et il avait
obtenu, à la fin du règne de Louis XIV, une assez grande célé-
brité comme orfèvre. Le fils de Th. Germain, dont le prénom
est également Pierre, eut à son tour une assez grande répu-
tation, en sorte que le nom de Germain revient pendant tout le
cours du xvin0 siècle dès qu'il s'agit d'orfèvrerie. Comme il y a
fort peu de pièces de Thomas dont l'authenticité soit bien
établie, les amateurs se rejettent assez volontiers sur l'un des
deux Pierre, lorsqu'il s'agit de désigner l'auteur d'un vase ou
d'un plat d'argent qui leur semble mériter un nom illustre.
Faut-il accepter le nom de Germain pour une aiguière, très
jolie d'ailleurs, qui a fait partie de la fameuse collection de San
Donato ? En tout cas, l'auteur de cette aiguière est assurément
un orfèvre d'un grand mérite.
La présence d'écussons armoriés sur le milieu de la pièce
est un des caractères de l'orfèvrerie au xvin" siècle. La couronne
héraldique qui les surmonte se mêle aux feuillages et aux roseaux
qui recouvrent les aiguières, dont le bec s'enrichit de feuilles
d'acanthe. Tout cet ensemble, finement ciselé, produit le plus
heureux effet.
On attribue également à Pierre Germain un charmant sucrier