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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 3)

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Leroi, Paul: Salon de 1875, [19]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16676#0023

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14 L'ART.

Jamais on ne vit savoir-faire plus expérimenté remplacer le vrai talent par de l'entregent, étendre par-
tout son influence néfaste, courber sous sa loi, toute la jeunesse, l'assouplir à reproduire les plus banales
formules et à étouffer toute inspiration, — et tout cela parce qu'on sait faire sentir qu'on a le bras long
et entendre tacitement qu'on est la vraie source annuelle de médailles, de faveurs et de prix de Rome.

Un ministre qui est le plus honnête homme du monde trouve carrément installée cette influence
omnipotente, la prend tout naturellement pour la plus pure manifestation du grand art, et le voilà qui
lui donne une force nouvelle en sanctionnant par des éloges officiels les délétères effets du pire ensei-
gnement qui ait jamais gangrené l'école. Voyez le dernier et faible concours pour le prix de Rome;
qui donc y fut le vainqueur? N'est-ce pas, comme l'a si intelligemment exposé ici M. Roger Ballu1,
n'est-ce pas celui qui a le plus fidèlement reproduit les formules de l'école? « Les quelques gouttes d'un
vin pur et généreux que servait au contraire M. Bastien Lepage » ne pouvaient qu'être repoussées.

Ah! Monsieur le Ministre, on vous dira que mon indignation est le fait d'un casse-cou, à moins que
Basile ne certifie qu'elle est le résultat d'une animosité personnelle contre un homme que je n'ai vu de
ma vie, et qui ne m'est absolument connu que par ses œuvres et son enseignement! Peu m'importe!
Une calomnie ne saurait me laisser qu'indifférent; c'est la sainte cause de l'Art qui est en jeu, et la
partie dans laquelle on la compromet touche aux plus nobles intérêts du pays et de l'humanité. Ma
voix n'est rien que celle d'un soldat infime, d'un homme de bonne volonté. Il en est heureusement de
plus autorisées; daignez un instant prêter l'oreille à l'une d'elles : « L'enseignement des Beaux-Arts
est-il en France ce qu'il devrait être? Sans hésiter, nous répondrons par la négative.

« Il n'est point tel que l'exigent la grandeur du pays, les dispositions du peuple, les besoins de
l'industrie. Si l'on tient compte de ce que la France doit aux Beaux-Arts pour sa gloire et son bien-être
matériel, et, d'un autre côté, de ce que l'administration dépense pour les encourager, on reconnaîtra
qu'en semant avec moins de parcimonie, on obtiendrait une récolte bien plus abondante.

« L'Ecole des Beaux-Arts de Paris et celle de Rome, qui est avec la première en relation intime
sont depuis fort longtemps l'objet de critiques nombreuses. De tous les côtés on demande des réformes
dans leur enseignement. On ne nie point qu'elles ne soient nécessaires, mais jusqu'à présent personne
n'a mis la main à l'ouvrage, et les abus ont subsisté.

« On sait que l'École des Beaux-Arts est administrée par un conseil de professeurs se recrutant
entre eux par l'élection. De même que tous les corps électifs, celui-ci tend à conserver ses anciennes
traditions. Notre Ecole, il faut bien le dire, n'encourage pas les novateurs. Elle craint un peu les ten-
tatives hardies; on l'accuse même de se complaire dans la routine. A la vérité, elle admet dans son
sein les artistes les plus distingués, mais elle ne les crée point, et elle les absorbe plutôt qu'elle ne les
prend pour chefs. Elle cède de temps en temps à l'opinion, mais en général elle lui résiste. En un
mot, elle manque complètement d'initiative.

« Les élèves qui se forment dans son sein ne sont pas longtemps à reconnaître qu'ils risquent de
déplaire £ leurs juges en s'abandonnant à leurs propres inspirations. Tout naturellement, et pour
réussir sûrement, ils s'appliquent à se conformer en tout aux vues et aux goûts de leurs maîtres. 11 en
résulte qu'un style convenu, entièrement dépourvu d'originalité, passe pour le moyen le plus sûr d'ob-
tenir des succès dans les concours, et comme la limite d'âge à laquelle on peut se présenter dans ces
concours est très-étendue, il arrive qu'avec les dispositions naturelles les plus faibles, mais avec de l'as-
siduité et de la patience, un élève médiocre finit par obtenir, par la persévérance, le prix qui devrait
être rései-vé au talent seul. Si l'on examine les ouvrages des élèves de l'École et ceux des pension-
naires de Rome, on y remarquera une fâcheuse uniformité dans la conception aussi bien que dans
l'exécution. On pourrait les attribuer tous à la même main. N'y a-t-il pas là la preuve d'un vice capital
dans l'enseignement? »

Ce langage, Monsieur le Ministre, est celui d'un académicien qui, je l'avoue, n'a rien eu d'acadé-
mique, mais il est immortel. Il a signé (Colomba, le Théâtre de (Jara Ga^ul, la Chronique du temps de
Charles IX, Tamango, Carmen, VEnlèvement de la redoute, Matteo Falcone, le Vase étrusque, la Vénus
d'Jlle, la Gii{la, et maint autre chef-d'œuvre.

1 Voir tome II, page 346, les Concurrents aux prix de Rome (-peinture et sculpture)par Roger Ballu.
 
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