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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 3)

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Gindriez, Ch.: L' Algérie et les artistes
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https://doi.org/10.11588/diglit.16676#0444

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L'ALGÉRIE ET LES ARTISTES. 401

désert. Comment tant d'énergie et d'indolence, de magnificence et d'avarice, de bravoure et de lâcheté,
de grandeur et de petitesse? Le lion seul peut donner une idée de cette superbe bête humaine; l'Arabe
a sa majesté inqviiète, sa férocité native, sa magnanimité intermittente, ses somnolences étranges et
ses réveils terribles. Un jour le général de Lamoricière s'empare d'un espion arabe :
« Où sont les ennemis?

— Je serai muet.

— Prends garde! je te fais fusiller!

— Tue-moi. Je serai muet. »

Le général prend un sac de mille francs dont il verse la moitié sur la table. Les yeux du prison-
nier étincellent :
«Je parlerai. »

Le général étale en silence le reste du sac, puis après un instant :
« Ce n'est pas tout. Il me faut ta tribu.

— Où sont tes gens? dit le prisonnier.

— Marchons »

Cet homme était brave et s'était bien battu. C'était un héros qui, à quelques francs près, fût
devenu un martyr.

Cette vie d'aventures et de périls fut pour les peintres pleine de surprises et d'enivrements. —
« Vous ne possédez en Afrique que la place occupée par les pieds de vos soldats, » écrivait Abd-el-
Kader. Il disait vrai ; les routes étaient alors purement imaginaires, tel ce fameux écriteau que les
Français, à peine maîtres d'Alger, fixèrent à une des portes de la ville : route de Laghouât! comme on
mettrait sur le cratère du Vésuve : route des Antipodes. Mais tant de périls et de fatigues étaient
supportés par les artistes avec cette gaieté communicative qui n'est que le reflet extérieur de la sérénité
du devoir réfléchie dans l'âme du soldat. Les improvisations de la cantine, la prestidigitation de la
casserole, tous ces plats si bien parés et encore mieux travestis étaient délicieux!

Pas de voitures, mais de longues marches au soleil; pas d'hôtels, mais au bout de l'étape les
surprises de la maraude et de la belle étoile, c'était charmant! Et l'on marchait devant soi, à l'aven-
ture, dans les routes tracées par le caprice des boulets et des balles. Horace Vernet adorait cette
existence à ce point qu'il ne pouvait quitter l'Algérie. Il fut de presque toutes les expéditions; et
quand, la nuit tombée, après les fatigues de la journée, il trouvait sur la terre la dure couche du
soldat, à quoi songeait-il? à ces malheureux qui sont condamnés à voyager dans de si bonnes voitures,
sur des routes si commodes, et à coucher dans de si bons lits !

La société accourue dans les villes nouvellement conquises était au moins aussi singulière que
celle d'Alger. Dans les remous d'une population toujours agitée et renouvelée sans cesse, le hasard
amenait parfois les rapprochements les plus étranges, les amitiés les plus imprévues, comme celle qui
unit un des plus brillants officiers français1 avec un gentilhomme étranger, déserteur de presque
toutes les armées du monde et le filleul de Byron, fils de Thomas Moore, le grand poëte anglais.
Mais en général cette population avide, intéressée, souvent laborieuse, était peu artiste, comme on
suppose. Elle eût crié volontiers au rossignol, au rossignol de Roméo et Juliette chantant le soir dans
les bois d'orangers : « Ah! la vilaine bête qui nous empêche de dormir! » Mais cette naïveté même
semblait adorable. Un hôtelier de Boufîarik priait Horace Vernet de faire son enseigne, et le peintre
escaladait lestement l'échelle. Les grands chefs indigènes témoignaient à nos artistes leur admiration
en leur glissant de force des poignées d'or dans les poches. Dantan, le sculpteur, qui venait de faire
la tête du maréchal Bugeaud, refusait avec indignation; mais un de ses amis trouvait la leçon mau-
vaise, et pour les corriger... acceptait gaiement3.

Chaque combat amenait des surprises neuves, des facettes nouvelles de ce climat miroitant et
chatoyant. Tempérée le long des côtes, brûlante à l'intérieur, la température s'abaissait à tel point sur
les hauts plateaux que plusieurs de nos soldats furent gelés dans la province de Constantine. C'est

1. Souvenirs de la vie militaire en Afrique, par le comte P. de Castellane.

2. Souvenirs de la. vie militaire en Afrique, par le comte P. de Castellane.

3. Alger naguère et maintenant, par Ch. Desprez,

Tome III. 51
 
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