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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 3)

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Gindriez, Ch.: L' Algérie et les artistes
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https://doi.org/10.11588/diglit.16676#0443

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4oo L'ART.

un animal sociable, toute cette bigarrure se côtoya, puis se mêla sous le masque, avec tout l'abandon
d'un carnaval. Les maris, sous prétexte de couleur locale, pratiquèrent la polygamie comparative ;
mais les dames françaises n'acceptèrent jamais l'Orient que sous bénéfice d'inventaire, et, pour prou-
ver leur indépendance, en abusèrent quelque peu. C'est ainsi qu'on perd les meilleures causes par
l'exagération.

Les artistes firent mieux, ils se traduisirent entièrement de Français en Arabes. On les vit *, parmi
des trophées de yatagans, chausser des babouches, s'inonder d'essence de rose, et, lassés de la perpen-
diculaire usée jusqu'à la corde, mener dans toutes ses conséquences les douceurs de la vie horizontale.
A cette vue, les Maures s'enfuient dans la ville haute avec leurs femmes; aussitôt on les poursuit, on
les domine; les murs sont observés, les judas démantelés à coups d'œillades et de lorgnettes. Les
Maures enragaient, les Mauresques, hermétiquement murées, étouffaient; mais il ne tint pas à ces
hardis pionniers que la fusion des races ne devînt un fait accompli. Il est certain qu'ils payèrent de
leur personne, et qu'une bonne longue-vue et l'entremise d'une négresse rapprochent bien des dis-
tances. Pauvres ateliers vides, pauvres nids abandonnés, avez-vous connu l'amour? On peut en douter.
Je crois qu'il s'y dépensa, de part et d'autre, plus de curiosité qu'il ne s'y brûla d'ailes, et les noms de
ces papillons reviennent encore voltiger mystérieusement à l'heure des confidences sur les lèvres des
derniers Algériens.

La conquête une fois faite, il fallut bien la garder; et, devant l'hostilité des tribus, cette guerre
défensive s'étendit dans une marche forcément conquérante depuis le Maroc et la Tunisie jusqu'au
Sahara. Le tambour et la fusillade réveillèrent les artistes qui s'élancèrent dans la mêlée, la boîte à
couleurs sur le dos et le fusil à la main. Gudin assistait à la prise d'Alger, Th. Frère à celle de Con-
stantine. Jamais, peut-être, à aucune époque, les artistes ei les soldats n'ont vécu dans une pareille inti-
mité et ne se sont plus complètement assimilés les uns aux autres. Les soldats virilisèrent leurs
compagnons dont la peinture brossée au pas de charge respire la fièvre et sent la poudre. D'autre part,
l'âme ardente et communicative de l'artiste colora d'un reflet d'idéal le génie pratique du militaire et
son esprit clair, net et incisif. Un officier nouvellement arrivé en Afrique demandait au général Chan-
garnier quelle était la limite de nos possessions. Le général fit charger un canon, et montrant au loin
le léger nuage causé par la chute du boulet :—« Voilà2! » —On peut être un brave et savant officier,
tout le monde n'a pas l'art de faire parler les canons avec tant d'éloquence.

Aucune armée ne se montra plus intelligente que celle d'Afrique, plus éprise de l'art et de la
science. Les officiers, les soldats même rivalisaient de zèle, et, sous le feu de l'ennemi, prenaient
des dessins, relevaient des mesures, préservaient les monuments. L'œuvre considérable publié par les
diverses Sociétés archéologiques de l'Algérie, ce long travail d'érudition et de patience est presque
entièrement militaire 3. Ces pages ont une incomparable grandeur; la noble figure d'Archimède flotte
autour de ce livre quand on pense qu'il a été écrit avec un volcan sous les pieds et la foudre sur la
tête. De tous les monuments érigés à la gloire de l'armée d'Afrique, il n'en est pas de plus glorieux
que celui-là, et elle Fa élevé de ses propres mains.

Cette existence militaire si colorée, si bruyante et si grave, ces jours de soleil et ces nuits de
belle étoile, toute cette vie de plein vent et de plein idéal charmaient les artistes^ et leur fouettaient le
sang et la verve. Ils n'avaient vu jusqu'ici que cette race effacée et mêlée du Maure des villes; ils
allaient donc connaître enfin le véritable Arabe, l'hôte indomptable de la plaine! Ce type les fascina
aussitôt. Quelle noblesse dans ses gestes! Quelle majesté dans ses attitudes! L'imagination ne pouvait
rien changer à cette figure sculpturale; c'est pour cela que les peintres s'en éprirent; car l'œil, la
main et de bonnes jambes devaient suffire à cette peinture au pas de course. Malheureusement les
prisonniers se refusaient obstinément à servir de modèles; et la mort qui les fit, hélas! poser par
milliers, ne livra que l'enveloppe de cette âme insaisissable et farouche qui, décevante comme un feu
follet, mais provocante comme une énigme, les entraîna à sa poursuite jusque dans les profondeurs du

1. Alger naguère et maintenant, par Ch. Dcsprez.

2. Souvenirs de la vie militaire en Afrique, par le comte P. de Castellane.

3. Il faut excepter MM. Berbrugger et Cherboimeau qui ont présidé avec tant d'éclat, le premier, la Société archéologique d'Alger,
le second, celle de Constantine.
 
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