L' art: revue hebdomadaire illustrée (2.1876 (Teil 1))

LE BRÉVIAIRE GRIMANI

a sérénissime République de Venise conservait dans le « Trésor
de Saint-Marc » ce joyau qui fait aujourd'hui partie de la « Biblio-
teca Marciana », princièrement logée dans l'ancien palais des
Doges. Chef-d'œuvre dû au pinceau des plus grands artistes
flamands, il est assurément le plus beau manuscrit de ce genre qui
existe dans le monde. Provenant du cardinal Dominique Grimani
qui le légua à la République, ce Bréviaire, presque ignoré au
siècle dernier, est aujourd'hui célèbre sous le nom de Breviario
Grimani.

J'essayerai de donner quelques informations sur le person-
nage auquel on attribue l'honneur d'avoir donné la commande
de cette œuvre d'art hors ligne, sur les artistes éminents qui y ont travaillé et sur les péripéties
de ce célèbre bréviaire, renonçant, il va sans dire, à en faire la description, déjà tentée par Zanotto ',
description minutieuse remplissant un gros volume à laquelle nous renvoyons les lecteurs de l'Art
qui ne se contenteront point des trois spécimens que nous leur présentons, planches, malgré tout leur
mérite, bien imparfaites sans doute pour reproduire des miniatures de premier ordre.

Allez, dirons-nous plutôt à nos amis qui se rendront un jour à Venise, — allez-y voir vous-mêmes
l'original de ces chefs-d'œuvre, que le commandeur Veludo, « préfet de la Marciana », laisse entre-
voir avec une extrême réserve, comme de juste, mais avec beaucoup de bonne grâce, une fois par
Semaine — le mercredi — aux curieux, aux amateurs, aux artistes qui se présentent toujours trop
nombreux autour de ce précieux volume.

Les pages qui suivent n'ont d'autre but que celui d'attirer l'attention de ceux qui ne le con-
naissent pas sur ce monument, conservé depuis le moyen âge avec un soin extrême — et qui par là
Même se présente à nos yeux comme s'il sortait des mains des célèbres miniaturistes qui y ont laissé
libre cours à leur fantaisie en y déployant tout leur art et y mettant toute leur délicatesse.

Examinons d'abord à qui l'on peut attribuer l'honneur d'avoir provoqué une commande aussi
extraordinaire. A cet égard le Bréviaire ne nous permet que de faire des suppositions. Il paraît que les
artistes qui y ont travaillé vivaient du temps de Sixte IV (de la Rovere), c'est-à-dire entre 1471 et 1484,
mais rien ne nous dit positivement à qui cet ouvrage était destiné. Toutefois rien n'empêche
d'admettre la supposition de Zanotto que ce travail de longue haleine n'a pu être destiné qu'à un
homme très-riche, à un dévot suivant la règle de Saint-François. Si l'on examine le Bréviaire au point
de vue liturgique, c'est, comme il a été dit, le Bréviaire romain, mais dans sa forme antérieure aux
remaniements demandés par le Concile de Trente. Il semble à l'usage exclusif des capucins. Les
Saints Franciscains y sont spécialement en saillie ; — toutefois saint Bonaventure n'y paraît point, ce
qui a l'air de fixer l'exécution du travail complet avant l'année 1482, où ce saint fut canonisé. Il
contient les jours de fête introduits par le pape Sixte IV et s'accorde avec un bréviaire imprimé à
Rome en 1477. — Sixte IV, défenseur du dogme de l'Immaculée Conception, suivait la règle de saint
François d'Assise. Il était même très-rigoureux dans le strict accomplissement des règles de cette
corporation religieuse à laquelle il appartenait.. Ce pape est nommé à l'occasion de « l'office de la

1. Franccteo Zanotto, Illustraçioni del fac-similé délie Miniature contenuatt nel Breviario Grima/tij saeguito in fotografia da Antonio
Perini. Venczii, 1862. (300 pages in-4", avec un texte français en regard, par M. Louis de Mas Latrie,)