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Genevay, Antoine: Art dramatique - Frédérick Lemaitre, [1]
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FRÉDÉRICK LEMAITRE. 287
voisin, déplorant le sort de leurs belles imaginations, de leurs efforts de mémoire perdus, et le cais-
sier plus inquiet que tous : c'était une scène lugubre, un Waterloo, un Sedan. Au milieu de cette
tristesse, tout à coup Frédérick, partant d'un de ces éclats de rire formidables dont il avait le secret,
jure, si on veut lui laisser carte blanche, de faire aller l'Auberge des Adrets à plus de cent représen-
tations. 11 parle, on l'écoute ; d'après lui, ce qu'ils viennent de jouer n'est point un mélodrame, mais
une comédie à la façon d'Aristophane ; et, en buvant du punch qui échauffe sa verve, il démolit le
Frederick Lemaitre dans le rôle de Robert-Macaire.
Fac-similé d'an dessin de Ad. Lalauze.
drame malencontreux, il prouve que les auteurs ont été inconscients de leur œuvre, qu'au lieu d'une
oie ils ont couvé un aigle. Il se met alors à jouer la pièce comme il la sent : il est railleur, atroce,
magnifique; il agite, il ébranle; on rit, on frissonne; quand il a fini on crie : Victoire! et le directeur
se décide à courir l'aventure. Le lendemain, après une répétition, on sait ce qui advint : la toile se
baissait sous les frénétiques applaudissements d'une salle en délire. Au premier moment de ce succès
inouï, le vulgaire prit Frédérick pour un saltimbanque heureux, mais les connaisseurs ne s'y trom-
pèrent pas : un grand artiste venait de se révéler.
11 demeura cependant une opinion commune qui prétendait que chez Frédérick tout était spon-
tané. Un jour on le louait de posséder cette merveilleuse puissance, il écoutait en haussant les épaules,
enfin, impatienté, il s'écria : « Ah! vous êtes assez... naïfs pour croire cela, vous autres! eh bien, vous
voisin, déplorant le sort de leurs belles imaginations, de leurs efforts de mémoire perdus, et le cais-
sier plus inquiet que tous : c'était une scène lugubre, un Waterloo, un Sedan. Au milieu de cette
tristesse, tout à coup Frédérick, partant d'un de ces éclats de rire formidables dont il avait le secret,
jure, si on veut lui laisser carte blanche, de faire aller l'Auberge des Adrets à plus de cent représen-
tations. 11 parle, on l'écoute ; d'après lui, ce qu'ils viennent de jouer n'est point un mélodrame, mais
une comédie à la façon d'Aristophane ; et, en buvant du punch qui échauffe sa verve, il démolit le
Frederick Lemaitre dans le rôle de Robert-Macaire.
Fac-similé d'an dessin de Ad. Lalauze.
drame malencontreux, il prouve que les auteurs ont été inconscients de leur œuvre, qu'au lieu d'une
oie ils ont couvé un aigle. Il se met alors à jouer la pièce comme il la sent : il est railleur, atroce,
magnifique; il agite, il ébranle; on rit, on frissonne; quand il a fini on crie : Victoire! et le directeur
se décide à courir l'aventure. Le lendemain, après une répétition, on sait ce qui advint : la toile se
baissait sous les frénétiques applaudissements d'une salle en délire. Au premier moment de ce succès
inouï, le vulgaire prit Frédérick pour un saltimbanque heureux, mais les connaisseurs ne s'y trom-
pèrent pas : un grand artiste venait de se révéler.
11 demeura cependant une opinion commune qui prétendait que chez Frédérick tout était spon-
tané. Un jour on le louait de posséder cette merveilleuse puissance, il écoutait en haussant les épaules,
enfin, impatienté, il s'écria : « Ah! vous êtes assez... naïfs pour croire cela, vous autres! eh bien, vous