Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 1)

DOI Artikel:
Genevay, Antoine: Art dramatique - Frédérick Lemaitre, [1]
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.16689#0312

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
FRÉDÉRICK LEMAITRE. 289

lement l'orage. De nombreux émissaires viennent des coulisses le supplier de continuer la pièce, à tous
invariablement il répète : « Priez le directeur de venir. » Le parterre hurle, lui reste impassible comme
le sage sur les débris du monde écroulé. Enfin voici le directeur.

« Monsieur, lui dit Frédérick avec le plus magnifique sang-froid, vous voulez donc me déshonorer ?
J'ai invité ces nobles amis non à boire cette ignoble limonade gazeuse, mais du Champagne, du vrai ;
veuillez donc nous en faire servir. Nous attendons. »

Que l'on imagine la confusion de la face directoriale et le rire homérique des spectateurs ; ils
trépignent, ils crient bravo, et ce n'est qu'après l'arrivée du Champagne, du vrai, que l'acteur consent
à continuer la représentation qui finit comme elle put.

S'il ne professait qu'un très-médiocre respect pour ses directeurs, Frédérick ne se montrait pas
toujours très-bon camarade. En général il n'aimait point que l'on fit de l'effet à côté de lui, et, comme
l'on dit en termes du métier, il tirait la couverture. Un jour chargé du corps d'un éphèbe, il entra en
scène; le jeune garçon contrefait si bien le mort que le public l'applaudit à outrance. Frédérick de
mauvaise humeur laisse rudement tomber le prétendu cadavre. Sa chute a été lourde, cependant pas
un muscle de la victime n'a tressailli, les bravos redoublent. «C'est bon, c'est bon, se dit Frédérick,
rira bien qui rira le dernier.» 11 se penche sur le défunt, il l'inonde de larmes, et, sans que la salle le
voie, tout doucement il le chatouille. Le mort résiste d'abord, le vivant redouble; le cadavre semble
avoir quelques mouvements convulsifs, puis il tressaute, enfin il se roule en agitant bras et jambes. Le
pauvre diable est impitoyablement sifflé, et le vrai coupable garde tout le calme d'une âme parfaitement
innocente.

Nous pourrions trop facilement multiplier les anecdotes de ce genre et raconter comment, par
exemple, il faisait solder à M. Harel, son directeur, ses courses en voiture et ses trop copieux dîners
« au banquet d'Anacréon », mais ces historiettes ne seraient point à leur place dans un recueil comme
celui-ci, et, nous l'avouons, elles ont pour nous peu d'intérêt. Ce n'est pas dans sa vie privée, mais dans sa
carrière théâtrale que nous entendons suivre Frédérick, tout en déplorant qu'il n'ait pas mené la noble
existence de Molière et de Talma.

A. Genevay.

(La fin au prochain numéro.)
 
Annotationen