L' art: revue hebdomadaire illustrée (2.1876 (Teil 1))

LE PREMIER AMOUR DU PEINTRE M. Q. DE LA TOUR. 191

De La Tour a eu plus tard bien d'autres amours, qui ont fini par Mlle Fel, son étoile du soir, sa
divine, comme il disait; mais, dans son souvenir, a dû rester toujours la mémoire de sa cousine Anne
Bougier, qui était la première l.

Charles Desmaze.

UN PASTEL DE LA TOUR

es pastels de M. de La Tour, écrit Diderot dans son Salon de 1761, sont toujours
comme il sait les faire. Parmi ceux qu'il a exposés cette année, le portrait du
vieux Crébillon à la romaine, la tête nue, et celui de M. Laideguive, notaire,
ajouteront beaucoup à sa réputation. »

C'est ce môme portrait de M. Laideguive que nous avons fait reproduire,
et dont nous donnons aujourd'hui une eau-forte. Quand on a vu ce pastel de La
Tour, on comprend l'enthousiasme du critique-philosophe auquel il faut toujours
revenir lorsqu'il s'agit du xvin* siècle. Toutes les qualités du grand pastelliste se révèlent dans cette
œuvre. Il s'y montre à la fois puissant et moelleux; tantôt ses crayons sont écrasés avec énergie,
tantôt la touche ressemble à une caresse. On s'explique cette exclamation : « M. La Tour a poussé
le pastel au point de faire craindre qu'il ne dégoûte de la peinture. » (Le Jugement d'un amateur sur
l'exposition des tableaux.) Ce brave homme qui pose devant vous, coiffé d'un mouchoir dont le nœud,
gaillardement placé sur le côté de la tête, semble annoncer chez son propriétaire des prétentions que
la physionomie ne justifie pas, enveloppé dans sa robe de chambre à grands ramages, le bras appuyé
sur le dossier de sa chaise, un livre ouvert et marqué en plusieurs endroits à la main, c'est M. Laide-
guive, notaire. Comme cette bonne grosse figure s'épanouit et sort pleine de douceur des vêtements
largement traités qui la font valoir! Le bonhomme est gras et les chairs sont un peu flasques; le
modelé ne s'en accuse pas moins avec solidité et puissance. Ce notaire n'est pas un sot. L'exubérance
de la vie a pu faire disparaître la finesse de ses traits sous une couche de graisse, mais l'œil, sur lequel
cette exubérance n'a pas eu de prise, est tout une révélation. Pour animer cette face placide et mono-
tone à force d'être grassouillette, comme l'artiste a saisi l'expression spirituelle du regard! Toute la
figure est, en quelque sorte, éclairée et animée par cette intensité de vie et d'intelligence qui fait
étinceler ses prunelles. Tout l'homme était là. Il fallait être un grand artiste pour comprendre et
rendre cela; il fallait se nommer La Tour.

1. Comme l'a si bien dit le poète François Coppée

Ce n'est pas qu'elle fût bien belle,
Mais nous avions tous deux vingt ans !

Monselet a exprimé non moins heureusement la même vérité

J'aimai plus tard, en poëte,
Par vingt coquettes trompé.
Je n'ai qu'une fois aimii :
Pauvre Colinelte!