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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 1)

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Genevay, Antoine: Art dramatique - Frédérick Lemaitre, [1]
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L'A R T.

êtes siirs d'aller au paradis... Voici la vérité : je cherche, je travaille, en marchant, à table, partout,
je bâtis mon bonhomme et mes effets, souvent je ne vois pas clair, mais devant la rampe tout s'illu-
mine... Est-ce que, vous autres, vous appelleriez cela improviser? »

Que l'on me permette de placer ici un des plus lointains souvenirs de ma lointaine jeunesse. Une
dizaine d'années, peut-être un peu moins, après l'Auberge des Adrets, un artiste excessivement distin-
gué de la Comédie française, que j'avais le plaisir de connaître, me parlait de son art, et comme je Lui
répondais en lui disant que les premiers acteurs du monde se trouvaient dans la maison de Molière :

« Vous vous trompez, fit-il à mon grand étonnement, le premier comédien n'est pas chez nous.

— Quel est-il?

— C'est Frédérick Lemaître. L'avez-vous vu dans Rochester, dans la Fiancée de Lamermoor?

— Et pourquoi ne se trouve-t-il pas parmi vous ?

— Ah! pourquoi... pourquoi... La Comédie française ne le contiendrait pas. Ce mot vous surprend
et je vois qu'il faut que je l'explique. »

Et dans une conversation trop longue à conter, me montrant que c'était par la perfection de l'en-
semble, par le soin que chaque acteur s'imposait de se fondre dans l'unité générale que s'affirmait et
se maintenait la supériorité de la Comédie française, il ajouta : « La nature exubérante de Frédérick
n'aurait pas déplace dans notre compagnie. Il y viendra, c'est forcé; mais, soyez-en sûr, il n'y restera
pas »

Grandi de cent coudées et devenu populaire grâce au succès de l'Auberge des Adrets, Frédérick
de « l'Ambigu » passa au « théâtre de la Porte-Saint-Martin » où l'attendait un triomphe au moins
égal à celui qu'il venait de remporter. Il joua Trente ans, ou la Vie d'un joueur, mélodrame bien char-
penté, mais écrit comme Ducange écrivait. En somme, la pièce est médiocre, sans ombre de talent
littéraire; grâce à Frédérick elle prit un aspect réaliste effrayant; on suivit avec angoisse cet homme
si élégant au lever du rideau, se déformant au physique, se dégradant au moral, à chaque scène des-
cendant, descendant toujours, comme un damné dans les cercles de Dante, et finissant par être un
vulgaire assassin. Aucune nouveauté dans le drame, de vieux effets connus, mais quelle science
profonde mit Frédérick dans la composition de son rôle et comme il le jouait, surtout lorsqu'il avait
Marie Dorval pour le seconder! A certains moments, la salle se taisait atterrée; dans d'autres, loges et
parterre, bourgeois et ouvriers, se soidevaient d'horreur.

Jusqu'alors on pouvait le dire, Frédérick avait obtenu les applaudissements en mettant sur la
scène les bas-fonds de la société et du crime, et ses détracteurs l'appelaient le Talma des boulevards
et de la plèbe ; dans le Méphistophélès de Faust, dans Edgard de la Fiancée de Lamermoor-, et dans
Rochester' de la pièce de ce nom, il se montra toujours pathétique, mais paré de la distinction des
exquises élégances. On eût dit un Montmorency, un de Vère, et pu croire que cet homme, qui hier
traînait les guenilles sanglantes du joueur, avait été bercé et élevé sur les genoux des princesses et
des reines.

Malheureusement si Frédérick grandissait en réputation, il ne grandissait pas en sagesse, et ses
rapports avec ses directeurs et même parfois avec ses camarades n'étaientpas toujours agréables. Fan-
tasque, exigeant, il lui passait d'étranges lubies dans le cerveau. On n'était jamais bien sûr que le
rideau se lèverait à l'heure dite sur la pièce affichée et qu'il se baisserait sans algarade. Veut-on quelques
échantillons de ses tours?

Dans un drame était une scène de banquet ; Frédérick, qui jouait le rôle de l'amphitryon, avait
invité quelques nobles amis à sabler du Champagne. Le bouchon a sauté et un laquais en grande livrée
est venu remplir de la liqueur mousseuse la coupe de son maître; Frédérick y porte les lèvres, fait une
grimace de dégoilt et appelant l'échanson lui dit : « Drôle, allez prier le directeur de vouloir bien venir
me parler. » Le pauvre diable s'enfuit, les acteurs se regardent, le public, qui ne comprend rien à ce
qui se passe, d'abord garde un silence étonné, puis se fâche. Frédérick s'assoit et regarde tranquil-

i. Dans notre mémoire un peu confuse en ce point, mais en ce point seulement, nous ne nous souvenons pas si l'acteur qui parlait
ainsi était Firmin ou Michelot.

a. « Pièce héroïque » de V. Ducange, représentée le 25 mars 1828.

3. Rochester, pièce de MM Benjamin (Antier) et de Théodore N..., jouée le 17 janvier 1829.
 
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