HISTOIRE ARTISTIQUE DU MÉTAL'
IV
LE MÉTAL
DANS LES TEMPS MODERNES
( suite)
LES BRONZES. (Suite et fin.)
M. le baron Ch. Davillier, qui a fait sur Gouthière une
étude spe'ciale, nous fournit les renseignements suivants sur la
triste fin du grand artiste : « On sait, dit-il, que M"" du Barry,
condamnée par un arrêt aussi injuste qu'inutile, fut exécutée le
8 décembre 1793. Peu de temps après sa mort, la commission
des arts du département de Seine-et-Oise se transporta à
Luciennes et fit l'inventaire de tous ses objets mobiliers saisis
par le domaine, comme le furent alors tous les biens de condam-
nés à mort et d'émigrés. Gouthière, qui depuis longtemps
n'avait rien reçu de la comtesse, réclama au Domaine, le Ierfruc-
tidor an III (io août 1795), le payement de ses mémoires,
qui montaient à 756,000 francs, somme considérable, même si
l'on a égard à la dépréciation du papier-monnaie. Le ciseleur,
qui prenait la qualité d'inventeur de la dorure au mat, expliquait
dans sa réclamation qu'il « avait contribué de ses travaux aux
« munificences de Luciennes ; la ciselure des bronzes d'un seul
« piédestal et de quelques accessoires était évaluée 5o,ooo francs,
« compris le voyage des ouvriers ; la monture et l'ajustage des
« mêmes ornements, 46,000 francs ; la dorure, 63,000 francs ,
« pour la pose des dorures, 5,000 francs, compris le
« voyage des ouvriers. Trois autres piédestaux pareils étaient
« portés à 420,000 francs. » Bien qu'il consentît à réduire le
tout de 736,000 francs à 642,000 francs, en retenant certains
objets non terminés et non livrés, Gouthière ne put se faire
payer par l'administration; une commission avait été chargée
de les examiner ; mais presque aucun des créanciers ne fut payé.
Plus de dix ans après, en 1806, le pauvre artiste, sans doute
ruiné depuis longtemps, adressa au Domaine une nouvelle
demande en liquidation, mais sans plus de succès, et, réduit à
solliciter une place à l'hospice, il mourut dans la misère. » Les
documents cités par M. le baron Ch. Davillier, dans son cata-
logue du cabinet du duc d'Aumont, sont extraits des pièces
du procès intenté par Gouthière fils aux héritiers de Mmc du
Barry.
Parmi les pièces les plus célèbres qui sont considérées
comme étant l'œuvre authentique de Gouthière, il faut citer
deux grands et magnifiques candélabres à trois lumières, en
bronze ciselé et doré au mat, qui faisaient partie de la célèbre
collection de San Donato. 0 Ils sont composés chacun, dit le
catalogue, d'un vase ovoïde en diorite orbiculaire antique, élevé
sur un trépied à' têtes de satyres, en bronze doré, garni de trois
anneaux et reposant sur trois sphinx ailés, en bronze vert,
accroupis sur une base en marbre bleu turquoise ; cette base est
ornée de petites branches de vigne, de vases de fruits et de
petites couronnes ; au centre du trépied, un serpent enroulé,
partant de la base, rejoint la partie inférieure du vase ; trois
branches contournées, à feuilles d'acanthe et couronnées de
vigne, sont placées au-dessus des têtes de satyres. Le haut du
vase est surmonté d'un groupe de fruits d'où se détache un
bouquet de roses et d'œillets, le tout en bronze ciselé et doré au
mat, de la plus grande finesse. »
Un type que l'on rencontre assez fréquemment dans le
mobilier du temps de Louis XVI, c'est le candélabre à trois
lumières, formé d'une corne d'abondance que tient une figure de
femme en bronze vert.
« Les bronzes Louis XVI ne se décrivent pas, dit A. Jacque-
mart ; les moins éclairés les reconnaissent entre tous. Ces
groupes délicats enlacés pour soutenir des tiges multiples qui
vont dérouler leurs rinceaux et fleurir en culots destinés à porter
des lumières sans nombre, ces génies se jouant parmi les guir-
landes de fleurs, et les acanthes dont les plus nombreux ont la
souplesse de la fibre végétale ; toute cette fine ornementation
rivale du bijou, rendue plus douce encore par l'or mat qui lui
enlève les reflets métalliques, c'était bien là ce qui convenait aux
mœurs polies, épurées, qu'avait voulu inaugurer Marie-Antoi-
nette. Posés sur les tables et les consoles mignonnes, sur les
cheminées de marbre blanc, ces bronzes accompagnaient à mer-
veille les délicates porcelaines de Sèvres, de la Saxe et de l'Inde.
Certes, il y a loin de cette mièvrerie à la science robuste du
xvi° siècle, mais on y lit bien la politesse galante et le dernier
sourire de cette société qu'une sanglante bourrasque va faire dis-
paraître. »
La statuaire subit à la fin du xvme siècle une transformation
complète qui s'opéra par un double mouvement. D'abord on vit
une tentative de réalisme dont Pigalle et Houdon furent les
représentants les plus décidés. Les bustes qu'on doit à ces deux
artistes se distinguent par un caractère d'individualisme très
prononcé, dont le portrait de Diderot, exécuté en bronze par
Pigalle, est un des types les plus remarquables. Mais le mouve-
ment classique, dont Louis David a été le promoteur le plus
influent pour la peinture, eut naturellement son contre-coup dans
la sculpture; cependant il inspira peu d'ouvrages en bronze qui
méritent d'être mentionnés. Dans les arts industriels, le retour à
l'antiquité, que nous avons signalé dans l'orfèvrerie, modifia éga-
lement le style des ouvrages en bronze, et on doit àThomire des
pendules et des statuettes meublantes qui caractérisent assez
bien le goût qui a prévalu sous le premier Empire. Clodion, qui
appartient à la même époque, fut un dissident qui, à cause de sa
personnalité, mérite une mention spéciale. Dans ses statuettes,
il a toute la grâce et même l'afféterie du xviii" siècle, dont il
semble être un représentant égaré dans un monde peu fait pour
l'apprécier, mais dans l'ornementation, et notamment dans les
appliques en bronze doré dont il a donné les modèles, il semble
céder à l'entraînement général, et ses ouvrages ne se distinguent
pas essentiellement de ceux de ses contemporains.
Le mouvement romantique de i83o, en détachant les sculp-
teurs de l'étude trop exclusive de l'antiquité romaine, eut pour
effet de les ramener à la nature, et un très grand progrès fut
accompli à partir de cette époque, non seulement dans la sta-
tuaire proprement dite, mais encore dans toutes les industries
1. Voir l'Art, 6" année, tome III, pa^c 305, tome IV, pages 20, 44, 67, 90, 114, 161, 212 et 238; 7" année, tome I", pages 6;, 8S, m, i;o, 158, iSj.so;,
236, 287 et 320.
IV
LE MÉTAL
DANS LES TEMPS MODERNES
( suite)
LES BRONZES. (Suite et fin.)
M. le baron Ch. Davillier, qui a fait sur Gouthière une
étude spe'ciale, nous fournit les renseignements suivants sur la
triste fin du grand artiste : « On sait, dit-il, que M"" du Barry,
condamnée par un arrêt aussi injuste qu'inutile, fut exécutée le
8 décembre 1793. Peu de temps après sa mort, la commission
des arts du département de Seine-et-Oise se transporta à
Luciennes et fit l'inventaire de tous ses objets mobiliers saisis
par le domaine, comme le furent alors tous les biens de condam-
nés à mort et d'émigrés. Gouthière, qui depuis longtemps
n'avait rien reçu de la comtesse, réclama au Domaine, le Ierfruc-
tidor an III (io août 1795), le payement de ses mémoires,
qui montaient à 756,000 francs, somme considérable, même si
l'on a égard à la dépréciation du papier-monnaie. Le ciseleur,
qui prenait la qualité d'inventeur de la dorure au mat, expliquait
dans sa réclamation qu'il « avait contribué de ses travaux aux
« munificences de Luciennes ; la ciselure des bronzes d'un seul
« piédestal et de quelques accessoires était évaluée 5o,ooo francs,
« compris le voyage des ouvriers ; la monture et l'ajustage des
« mêmes ornements, 46,000 francs ; la dorure, 63,000 francs ,
« pour la pose des dorures, 5,000 francs, compris le
« voyage des ouvriers. Trois autres piédestaux pareils étaient
« portés à 420,000 francs. » Bien qu'il consentît à réduire le
tout de 736,000 francs à 642,000 francs, en retenant certains
objets non terminés et non livrés, Gouthière ne put se faire
payer par l'administration; une commission avait été chargée
de les examiner ; mais presque aucun des créanciers ne fut payé.
Plus de dix ans après, en 1806, le pauvre artiste, sans doute
ruiné depuis longtemps, adressa au Domaine une nouvelle
demande en liquidation, mais sans plus de succès, et, réduit à
solliciter une place à l'hospice, il mourut dans la misère. » Les
documents cités par M. le baron Ch. Davillier, dans son cata-
logue du cabinet du duc d'Aumont, sont extraits des pièces
du procès intenté par Gouthière fils aux héritiers de Mmc du
Barry.
Parmi les pièces les plus célèbres qui sont considérées
comme étant l'œuvre authentique de Gouthière, il faut citer
deux grands et magnifiques candélabres à trois lumières, en
bronze ciselé et doré au mat, qui faisaient partie de la célèbre
collection de San Donato. 0 Ils sont composés chacun, dit le
catalogue, d'un vase ovoïde en diorite orbiculaire antique, élevé
sur un trépied à' têtes de satyres, en bronze doré, garni de trois
anneaux et reposant sur trois sphinx ailés, en bronze vert,
accroupis sur une base en marbre bleu turquoise ; cette base est
ornée de petites branches de vigne, de vases de fruits et de
petites couronnes ; au centre du trépied, un serpent enroulé,
partant de la base, rejoint la partie inférieure du vase ; trois
branches contournées, à feuilles d'acanthe et couronnées de
vigne, sont placées au-dessus des têtes de satyres. Le haut du
vase est surmonté d'un groupe de fruits d'où se détache un
bouquet de roses et d'œillets, le tout en bronze ciselé et doré au
mat, de la plus grande finesse. »
Un type que l'on rencontre assez fréquemment dans le
mobilier du temps de Louis XVI, c'est le candélabre à trois
lumières, formé d'une corne d'abondance que tient une figure de
femme en bronze vert.
« Les bronzes Louis XVI ne se décrivent pas, dit A. Jacque-
mart ; les moins éclairés les reconnaissent entre tous. Ces
groupes délicats enlacés pour soutenir des tiges multiples qui
vont dérouler leurs rinceaux et fleurir en culots destinés à porter
des lumières sans nombre, ces génies se jouant parmi les guir-
landes de fleurs, et les acanthes dont les plus nombreux ont la
souplesse de la fibre végétale ; toute cette fine ornementation
rivale du bijou, rendue plus douce encore par l'or mat qui lui
enlève les reflets métalliques, c'était bien là ce qui convenait aux
mœurs polies, épurées, qu'avait voulu inaugurer Marie-Antoi-
nette. Posés sur les tables et les consoles mignonnes, sur les
cheminées de marbre blanc, ces bronzes accompagnaient à mer-
veille les délicates porcelaines de Sèvres, de la Saxe et de l'Inde.
Certes, il y a loin de cette mièvrerie à la science robuste du
xvi° siècle, mais on y lit bien la politesse galante et le dernier
sourire de cette société qu'une sanglante bourrasque va faire dis-
paraître. »
La statuaire subit à la fin du xvme siècle une transformation
complète qui s'opéra par un double mouvement. D'abord on vit
une tentative de réalisme dont Pigalle et Houdon furent les
représentants les plus décidés. Les bustes qu'on doit à ces deux
artistes se distinguent par un caractère d'individualisme très
prononcé, dont le portrait de Diderot, exécuté en bronze par
Pigalle, est un des types les plus remarquables. Mais le mouve-
ment classique, dont Louis David a été le promoteur le plus
influent pour la peinture, eut naturellement son contre-coup dans
la sculpture; cependant il inspira peu d'ouvrages en bronze qui
méritent d'être mentionnés. Dans les arts industriels, le retour à
l'antiquité, que nous avons signalé dans l'orfèvrerie, modifia éga-
lement le style des ouvrages en bronze, et on doit àThomire des
pendules et des statuettes meublantes qui caractérisent assez
bien le goût qui a prévalu sous le premier Empire. Clodion, qui
appartient à la même époque, fut un dissident qui, à cause de sa
personnalité, mérite une mention spéciale. Dans ses statuettes,
il a toute la grâce et même l'afféterie du xviii" siècle, dont il
semble être un représentant égaré dans un monde peu fait pour
l'apprécier, mais dans l'ornementation, et notamment dans les
appliques en bronze doré dont il a donné les modèles, il semble
céder à l'entraînement général, et ses ouvrages ne se distinguent
pas essentiellement de ceux de ses contemporains.
Le mouvement romantique de i83o, en détachant les sculp-
teurs de l'étude trop exclusive de l'antiquité romaine, eut pour
effet de les ramener à la nature, et un très grand progrès fut
accompli à partir de cette époque, non seulement dans la sta-
tuaire proprement dite, mais encore dans toutes les industries
1. Voir l'Art, 6" année, tome III, pa^c 305, tome IV, pages 20, 44, 67, 90, 114, 161, 212 et 238; 7" année, tome I", pages 6;, 8S, m, i;o, 158, iSj.so;,
236, 287 et 320.