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L'ART.
M. E. M. Delaborde, l'éminent professeur du Conserva-
toire, annonce deux séances de musique de piano. Dans la pre-
mière, donnée le 7 avril à la salle Pleyel, il jouera diverses
œuvres de Bach, de Mozart, de Mendelssohn,et de divers maîtres
contemporains; il fera aussi entendre un quintette de sa compo-
sition. La seconde aura lieu le 11 avril à la salle Erard et sera
consacrée tout entière à Beethoven.
Octave Fouque.
LES GRANDES EXPOSITIONS D'HIVER A LONDRES
11
exposition d'aquarelles et de cartons
a la « grosvenor gallery »
(fin)
'est YEast Gallery qui a donné l'hospitalité aux
Cartons, parmi lesquels ceux de M. E. But-ne
Jones l'emportent d'une façon écrasante et par
une indiscutable supériorité et aussi par le
nombre, car l'artiste nous met à même de juger
son œuvre de 1873 à 1880. La recherche, la préoccupation du
style, un idéal très élevé, un très noble sentiment de l'art déco-
ratif, le dédain des suffrages du vulgaire, tels sont les mérites
aussi rares que précieux à inscrire à l'actif du peintre de The
Beguiling of Merlin -. Quant h ses défauts, ils sont de ceux qui
sautent aux yeux ; il est évident que, puissamment influencé par
l'Italie du xvc s'ècle, son faire s'en trouve altéré en son origina-
lité, qu'il ne sait même pas se soustraire de ce côté à une véri-
table obsession qui l'entraîne à verser plus d'une fois dans le
maniérisme, et que, lorsque ce maniérisme n'enveloppe pas tout
son sujet ou une de ses figures tout entière, il se manifeste trop
clairement dans la prodigalité des plis de ses draperies, voire
même des moindres ajustements. C'est qu'il est une chose qui
ne se ressuscite point par l'étude, la grandeur dans la simplicité,
la naïveté géniale en un mot, caractéristique de tous les illustres
primitifs dont le souvenir hante M. Burne Jones.
Mais quelles que soient les légitimes critiques que l'on
puisse adresser aux œuvres de M. Burne Jones, il est certain
que son art dépasse de haut la portée des conceptions favorites
de l'école anglaise actuelle. Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, il
est impossible de nier que l'on a affaire à quelqu'un. Son rang
est hors de pair, et ce n'est point là un mince honneur, car la
foule des imitateurs lointains qui se sont jetés à sa suite dans la
voie du grand art décoratif démontre, mieux que les plus
savantes déductions tirées de ses travaux, combien sérieuse est
sa valeur et combien loin il laisse derrière lui tous ceux qui
tentent de s'inspirer de son exemple.
La West Gallery renfermait une quantité considérable
d'aquarelles dues aux artistes de la Liverpool Society of Painters
in Water-Colours. 11 ne serait pas vrai de dire que l'intelligente
invitation décentralisatrice qui les a conviés à exposer à la Gros-
venor Gallery a spécialement mis en lumière l'un d'eux; elle
leur aura été un très utile enseignement en leur permettant de
mieux se rendre compte par où ils pèchent. L'originalité est
très loin encore d'être leur fort. Cette réflexion est celle que
suggère d'ailleurs cette année la presque totalité des aquarelles
anglaises, à quelques exceptions près, exceptions très clairse-
mées. C'est parmi elles que nous avons noté : A Study at Saint
Just, Oise, par M. R. Beavis, et Portsmouth, — A Stormpas-
sing over, — du même; — A level Land, par M. A. Parsons; —
Durhain, par M. W. E. Lockhart; — Winter Fuel, Yport, par
M. David Carr. — A la bonne heure, voilà qui est large et très
1. Voir l'Art, ye année, tome 1»', pages 261, 298 et 353.
2. Voir l'Art, y année, tome III, page 80.
3. La pauvreté entre-t-elle par la porte, l'amour s'envole par la lenètre.
artiste ! — M. David Carr, qui a beaucoup d'avenir, a transporté
ses pénates en France ; il est venu y demander le développe-
ment d'un talent qui ne tardera pas, croyons-nous, à se mani-
fester par de nouveaux et remarquables progrès.
Dans la Water-Colour Gallery et la Sculpture Gallery, ce
sont deux femmes qui tiennent vaillamment le drapeau de l'An-
gleterre. La Marquise de Waterford a le don de la couleur, et
Miss Kate Greenaway, à qui quelque bonne fée a prodigué tous
les dons à pleines mains, Miss Greenaway bat, comme en se
jouant, et le sexe fort et le sexe faible avec une aquarelle minus-
cule, ■— Miss Two-Shoes, — cela est grand comme la main, —
aquarelle qui n'a pas sa pareille parmi toutes ses compatriotes.
Cette petite fillette, qui étale avec un indicible enchantement
sa paire de souliers neufs, est un modèle d'esprit, de dessin, de
couleur et de goût, et comme cela vous est lavé ! quelle pres-
tesse! quelle sûreté ! quelle ampleur !
En deux coups de pinceau, Miss Kate en dit plus long que
tous les aquarellistes anglais le plus en renom pour leurs
vaincs luttes avec la peinture à l'huile. On n'est pas plus maître
dans son art que Miss Greenaway et nul n'est plus spirituel
qu'elle.
Un Français anglaisé, M. Jules Lessore, a crânement brossé
un souvenir de Venise : Entrance of tlie Ducal Palace, et croqué
Kingeton Qjiay en esquisse, esquisse tout à fait remarquable et
qui nous a remis en mémoire les très excellentes et très curieuses
peintures à l'eau de Johan-Barthold Jongkind, ce Parisien néer-
landais.
Rien à dire des quelques morceaux de sculpture qui étaient
censés décorer la Grosvenor Gallery; c'est même ce qu'il y a de
mieux à en dire. Mais la place d'honneur, dans la galerie prin-
cipale, — West Gallery — était occupée par un vase de Minton,
que je me reprocherais de passer sous silence. C'est une des
plus séduisantes compositions d'un illustre transfuge de Sèvres
sur ce thème :
When Poverty cornes in al the Door,
Love /lies ont of the WindowJ.
Sans parler du tour de force de l'exécution céramique, du
travail de pâte sur pâte, qui rentre plus particulièrement dans
le domaine de l'industrie, je tiens à signaler le goût dont Solon
vient de donner une preuve nouvelle, son extrême fertilité d'in-
vention et la mesure qui domine toutes ses créations, les équi-
libre et leur donne cette harmonie d'ensemble qui est en quelque
sorte la signature de cet artiste d'élite, l'un de ces élèves de
M. Lecoq de Boisbaudran, qui honore hautement la méthode
si merveilleusement réformatrice de ce maître indignement
délaissé, malgré tout le cas que faisait de lui le plus compétent
de tous les juges, Viollet-le-Duc.
Arrivons au contingent d'aquarelles françaises, qui ont été
la great Attraction de cette importante Exhibition 0/Pictures in
Water-Colours.
MM. Narcisse Berchère, Pierre Beyle, Brissot de Warville,
Alexandre Brun, Ulysse Butin, J. Cazin, E. Dantan, C. Destrem,
G. Dubufe, Léon Gaucherel, Norbert Goeneutte, G. Maquette,
L'ART.
M. E. M. Delaborde, l'éminent professeur du Conserva-
toire, annonce deux séances de musique de piano. Dans la pre-
mière, donnée le 7 avril à la salle Pleyel, il jouera diverses
œuvres de Bach, de Mozart, de Mendelssohn,et de divers maîtres
contemporains; il fera aussi entendre un quintette de sa compo-
sition. La seconde aura lieu le 11 avril à la salle Erard et sera
consacrée tout entière à Beethoven.
Octave Fouque.
LES GRANDES EXPOSITIONS D'HIVER A LONDRES
11
exposition d'aquarelles et de cartons
a la « grosvenor gallery »
(fin)
'est YEast Gallery qui a donné l'hospitalité aux
Cartons, parmi lesquels ceux de M. E. But-ne
Jones l'emportent d'une façon écrasante et par
une indiscutable supériorité et aussi par le
nombre, car l'artiste nous met à même de juger
son œuvre de 1873 à 1880. La recherche, la préoccupation du
style, un idéal très élevé, un très noble sentiment de l'art déco-
ratif, le dédain des suffrages du vulgaire, tels sont les mérites
aussi rares que précieux à inscrire à l'actif du peintre de The
Beguiling of Merlin -. Quant h ses défauts, ils sont de ceux qui
sautent aux yeux ; il est évident que, puissamment influencé par
l'Italie du xvc s'ècle, son faire s'en trouve altéré en son origina-
lité, qu'il ne sait même pas se soustraire de ce côté à une véri-
table obsession qui l'entraîne à verser plus d'une fois dans le
maniérisme, et que, lorsque ce maniérisme n'enveloppe pas tout
son sujet ou une de ses figures tout entière, il se manifeste trop
clairement dans la prodigalité des plis de ses draperies, voire
même des moindres ajustements. C'est qu'il est une chose qui
ne se ressuscite point par l'étude, la grandeur dans la simplicité,
la naïveté géniale en un mot, caractéristique de tous les illustres
primitifs dont le souvenir hante M. Burne Jones.
Mais quelles que soient les légitimes critiques que l'on
puisse adresser aux œuvres de M. Burne Jones, il est certain
que son art dépasse de haut la portée des conceptions favorites
de l'école anglaise actuelle. Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, il
est impossible de nier que l'on a affaire à quelqu'un. Son rang
est hors de pair, et ce n'est point là un mince honneur, car la
foule des imitateurs lointains qui se sont jetés à sa suite dans la
voie du grand art décoratif démontre, mieux que les plus
savantes déductions tirées de ses travaux, combien sérieuse est
sa valeur et combien loin il laisse derrière lui tous ceux qui
tentent de s'inspirer de son exemple.
La West Gallery renfermait une quantité considérable
d'aquarelles dues aux artistes de la Liverpool Society of Painters
in Water-Colours. 11 ne serait pas vrai de dire que l'intelligente
invitation décentralisatrice qui les a conviés à exposer à la Gros-
venor Gallery a spécialement mis en lumière l'un d'eux; elle
leur aura été un très utile enseignement en leur permettant de
mieux se rendre compte par où ils pèchent. L'originalité est
très loin encore d'être leur fort. Cette réflexion est celle que
suggère d'ailleurs cette année la presque totalité des aquarelles
anglaises, à quelques exceptions près, exceptions très clairse-
mées. C'est parmi elles que nous avons noté : A Study at Saint
Just, Oise, par M. R. Beavis, et Portsmouth, — A Stormpas-
sing over, — du même; — A level Land, par M. A. Parsons; —
Durhain, par M. W. E. Lockhart; — Winter Fuel, Yport, par
M. David Carr. — A la bonne heure, voilà qui est large et très
1. Voir l'Art, ye année, tome 1»', pages 261, 298 et 353.
2. Voir l'Art, y année, tome III, page 80.
3. La pauvreté entre-t-elle par la porte, l'amour s'envole par la lenètre.
artiste ! — M. David Carr, qui a beaucoup d'avenir, a transporté
ses pénates en France ; il est venu y demander le développe-
ment d'un talent qui ne tardera pas, croyons-nous, à se mani-
fester par de nouveaux et remarquables progrès.
Dans la Water-Colour Gallery et la Sculpture Gallery, ce
sont deux femmes qui tiennent vaillamment le drapeau de l'An-
gleterre. La Marquise de Waterford a le don de la couleur, et
Miss Kate Greenaway, à qui quelque bonne fée a prodigué tous
les dons à pleines mains, Miss Greenaway bat, comme en se
jouant, et le sexe fort et le sexe faible avec une aquarelle minus-
cule, ■— Miss Two-Shoes, — cela est grand comme la main, —
aquarelle qui n'a pas sa pareille parmi toutes ses compatriotes.
Cette petite fillette, qui étale avec un indicible enchantement
sa paire de souliers neufs, est un modèle d'esprit, de dessin, de
couleur et de goût, et comme cela vous est lavé ! quelle pres-
tesse! quelle sûreté ! quelle ampleur !
En deux coups de pinceau, Miss Kate en dit plus long que
tous les aquarellistes anglais le plus en renom pour leurs
vaincs luttes avec la peinture à l'huile. On n'est pas plus maître
dans son art que Miss Greenaway et nul n'est plus spirituel
qu'elle.
Un Français anglaisé, M. Jules Lessore, a crânement brossé
un souvenir de Venise : Entrance of tlie Ducal Palace, et croqué
Kingeton Qjiay en esquisse, esquisse tout à fait remarquable et
qui nous a remis en mémoire les très excellentes et très curieuses
peintures à l'eau de Johan-Barthold Jongkind, ce Parisien néer-
landais.
Rien à dire des quelques morceaux de sculpture qui étaient
censés décorer la Grosvenor Gallery; c'est même ce qu'il y a de
mieux à en dire. Mais la place d'honneur, dans la galerie prin-
cipale, — West Gallery — était occupée par un vase de Minton,
que je me reprocherais de passer sous silence. C'est une des
plus séduisantes compositions d'un illustre transfuge de Sèvres
sur ce thème :
When Poverty cornes in al the Door,
Love /lies ont of the WindowJ.
Sans parler du tour de force de l'exécution céramique, du
travail de pâte sur pâte, qui rentre plus particulièrement dans
le domaine de l'industrie, je tiens à signaler le goût dont Solon
vient de donner une preuve nouvelle, son extrême fertilité d'in-
vention et la mesure qui domine toutes ses créations, les équi-
libre et leur donne cette harmonie d'ensemble qui est en quelque
sorte la signature de cet artiste d'élite, l'un de ces élèves de
M. Lecoq de Boisbaudran, qui honore hautement la méthode
si merveilleusement réformatrice de ce maître indignement
délaissé, malgré tout le cas que faisait de lui le plus compétent
de tous les juges, Viollet-le-Duc.
Arrivons au contingent d'aquarelles françaises, qui ont été
la great Attraction de cette importante Exhibition 0/Pictures in
Water-Colours.
MM. Narcisse Berchère, Pierre Beyle, Brissot de Warville,
Alexandre Brun, Ulysse Butin, J. Cazin, E. Dantan, C. Destrem,
G. Dubufe, Léon Gaucherel, Norbert Goeneutte, G. Maquette,