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nion de saint Jérôme. — Ah ! pour le coup, monsieur le voyageur,
vous abusez, me direz-vous; la Communion de saint Jérôme du
Dominiquin est au Vatican ; on l'y a vue et tout le monde encore
peut l'y voir; donc... — Pardon, à mon tour. J'en suis fâché
pour le Vatican, mais la Communion de saint Jérôme qu'il pos-
sède n'est qu'une reproduction de l'original qui est ici. En
voulez-vous la preuve ?
« Voici à l'autre extre'mité de la même galerie la Mort de
saint Jérôme du môme Dominiquin, laquelle n'a pas e'té repro-
duite, que je sache, et vous conviendrez qu'il est difficile de se
tromper quand on a sous les yeux deux Saint Jérôme du même
ton et presque dans la même attitude. Quant à supposer que le
Dominiquin ait envoyé en même temps au Pérou la copie de
l'un des tableaux et l'original de l'autre, cela est peu vraisem-
blable. N'est-il pas plus simple de supposer, ce que des recherches
dans les papiers des couvents prouveraient sans doute, qu'à une
époque où certaines congrégations religieuses possédaient ici
plus de 800,000 francs de revenu sans compter les dîmes,
offrandes, cadeaux et héritages de l'année, elles pouvaient faire
aux maîtres anciens des offres colossales que ces illustres pro-
digues ne songeaient pas à décliner?
« Mais continuons... Voici une Vierge de Raphaël, avec la
gravure du temps qui en démontre l'authenticité; plus loin une
bataille de Salvator Rosa, d'un effet plus puissant que celle du
RT.
Louvre; trois portraits équestres de Velasquez, grandeur natu-
relle ; des Tintoret aussi beaux que ceux du Palais ducal de
Venise ; une collection complète de l'école flamande : des
Teniers, des Van Ostade, des Gérard Dow, etc., à faire envie
au musée de la Haye; enfin trois beaux Rembrandt dont l'un
représente avec un fini de détails et une crudité d'expression
bizarre <t le mur d'une échoppe de cordonnier ».
« L'école espagnole surtout est admirablement représentée
dans la collection Zaballos, et peut être serait-il nécessaire de
venir l'étudier ici pour la bien connaître, car il y a des toiles,
comme les Bohémiens de Zurbaran et la Naissance du Christ de
Cano, dont les équivalents ne se retrouvent, je crois, nulle
part. »
Les illustrations, très nombreuses, sont souvent fort intéres-
santes. Nous citerons particulièrement celles de nos collabora-
teurs A. Brun et H. Scott. On en jugera par les spécimens que
nous en reproduisons. Mais le tirage est parfois défectueux, soit
que la mise en train n'ait pas été toujours faite avec les précau-
tions minutieuses qu'elle exige, soit que quelques-uns des des-
sins n'aient pas été exécutés dans les conditions toutes spéciales
que demande la reproduction par la photogravure. Mais ce sont
là des détails secondaires dans un récit de voyage dont l'intérêt
subsiste en dehors de toute prétention artistique.
Eugène Ver on.
GUIDE RAISONNE DE L'AMATEUR ET DU CURIEUX
XX
M. CHARLES BLANC
Critique d'art, Membre de l'Académie des Beaux-Arts,
-Membre de l'Académie française, Professeur au Collège de France,
Ancien Directeur des Beaux-Arts.
Le Temps est un des journaux le plus justement respectés;
aussi n'entendons-nous, en aucune façon, le rendre solidaire de
l'article-réclame qui a paru dans son numéro du 24 avril
portant la date du lendemain 25 :
« Un amateur italien, le marquis Piccinardi. mourait, il y
a peu de temps, à Milan, laissant une collection de quatre-vingts
tableaux, qui vont être vendus à l'hôtel Drouot le mardi 26 avril
prochain. Ceux de ces tableaux qui appartiennent aux écoles
italienne et française sont les meilleurs. Dans le nombre, il faut
citer le portrait de Béatrice d'Esté, femme de Ludovic le Maure,
et celui de Ludovic lui-môme : ce sont des morceaux précieux.
Léonard de Vinci en fit les dessins, — deux dessins admirables
que l'on voit à l'Ambrosienne de Milan, — et ces dessins ont été
traduits en peinture par deux de ses plus illustres élèves d'ori-
gine. Marco d'Oggione a peint Ludovic, et Beltraffio a peint
Béatrice. Les amateurs qui ont pour Léonard de Vinci toute
l'admiration, toute la vénération que mérite ce grand homme,
iront voir et probablement enchérir ces deux portraits, auxquels
s'attache un double intérêt, celui qu'offre la peinture et celui
qui tient à l'histoire.
« Le portrait de Béatrice est donné, par erreur, dans le
catalogue, pour le portrait de Bianca Maria Sforza, nièce de
Ludovic, laquelle épousa l'empereur Maximilien. Béatrice a été
représentée par Léonard, de profil, dans un dessin d'une déli-
catesse infinie. Le modelé en est exquis. C'est la plus jolie, la plus
séduisante, la plus aimable figure de jeune femme qu'on puisse
rêver. Son petit nez légèrement retroussé, sa bouche aux lèvres
épanouies, amoureuse et parlante, son regard fin et provocant,
et la grâce de son buste élancé font de cette jeune femme sans
beauté une créature à faire perdre la raison. Le ravissant dessin
de Léonard a été mis en couleur par un gentilhomme milanais,
Beltraffio, qui faisait à ses heures de la bonne peinture. Marco
d'Oggione s'est comporté de môme pour le portrait de Ludovic
le Maure, dessiné par Léonard. Ce dernier morceau pourrait
être pris de loin pour un Antonello de Messine. De près on y
voit dans les lumières quelques-unes de ces touches vives,
quelques-uns de ces rehauts qui ne se trouvent pas dans les
ouvrages du peintre sicilien. Quoi qu'il en soit, le portrait de
Louis le Maure est aussi curieux que celui de Béatrice, et il n'a
pas moins de caractère.
« Deux jolies madones de l'école léonardesque, des portraits
de Morone qui ont de la tournure, et avec lesquels un Turcaret
pourrait s'improviser des ancêtres ; une Vue du Grand Canal, à
Venise, par Canaletto ; des paysages avec animaux, par Phi-
lippe Roos, dit Rosa de Tivoli, telles sont les toiles qui attire-
ront certainement l'attention des amateurs, avec deux paysages
décoratifs par Zuccarelli ; une nature morte signée Van Streek,
et trois portraits de personnages connus : l'un du cavalier
Bernin, peint en France, lorsqu'il y fut appelé par Louis XIV :
l'autre d'Angelica Kaufmann par elle-même, tableau signé et
parfaitement authentique ; le troisième d'une artiste vénitienne
qui maniait le ciseau du sculpteur, par Tiepolo. Il faut encore
ajouter à cette liste, relevée un peu à la hâte, un Martyre de
sainte Catherine, par Gaudenzio Ferrari, qui a fait un si fameux
tableau du même sujet au musée Brera, et une fresque, douce et
vénérable, de Luini, sciée et transportée sur toile, et représen-
tant la Crèche. »
« Ah ! qu'en termes galants ces choses-là sont mises! »
Mais il n'y a pas lieu de s'étonner, c'est signé Charles
Blanc en toutes lettres.
Les esprits chagrins — il en pleut dans ce siècle incrédule,
— s'aviseront peut-être de ne pas s'arrêter à cet aimable
pathos, d'aller au fond des choses et de traiter de verbiage igno-
rant ce petit chef-d'œuvre de haute critique artistique.
Nous le regretterions amèrement, tout en étant forcés —
Dame Vérité a de ces fâcheuses exigences, — de nous incliner
devant la trop cruelle exactitude des faits.
Rien de plus indiscutable que les renseignements que daigne
nion de saint Jérôme. — Ah ! pour le coup, monsieur le voyageur,
vous abusez, me direz-vous; la Communion de saint Jérôme du
Dominiquin est au Vatican ; on l'y a vue et tout le monde encore
peut l'y voir; donc... — Pardon, à mon tour. J'en suis fâché
pour le Vatican, mais la Communion de saint Jérôme qu'il pos-
sède n'est qu'une reproduction de l'original qui est ici. En
voulez-vous la preuve ?
« Voici à l'autre extre'mité de la même galerie la Mort de
saint Jérôme du môme Dominiquin, laquelle n'a pas e'té repro-
duite, que je sache, et vous conviendrez qu'il est difficile de se
tromper quand on a sous les yeux deux Saint Jérôme du même
ton et presque dans la même attitude. Quant à supposer que le
Dominiquin ait envoyé en même temps au Pérou la copie de
l'un des tableaux et l'original de l'autre, cela est peu vraisem-
blable. N'est-il pas plus simple de supposer, ce que des recherches
dans les papiers des couvents prouveraient sans doute, qu'à une
époque où certaines congrégations religieuses possédaient ici
plus de 800,000 francs de revenu sans compter les dîmes,
offrandes, cadeaux et héritages de l'année, elles pouvaient faire
aux maîtres anciens des offres colossales que ces illustres pro-
digues ne songeaient pas à décliner?
« Mais continuons... Voici une Vierge de Raphaël, avec la
gravure du temps qui en démontre l'authenticité; plus loin une
bataille de Salvator Rosa, d'un effet plus puissant que celle du
RT.
Louvre; trois portraits équestres de Velasquez, grandeur natu-
relle ; des Tintoret aussi beaux que ceux du Palais ducal de
Venise ; une collection complète de l'école flamande : des
Teniers, des Van Ostade, des Gérard Dow, etc., à faire envie
au musée de la Haye; enfin trois beaux Rembrandt dont l'un
représente avec un fini de détails et une crudité d'expression
bizarre <t le mur d'une échoppe de cordonnier ».
« L'école espagnole surtout est admirablement représentée
dans la collection Zaballos, et peut être serait-il nécessaire de
venir l'étudier ici pour la bien connaître, car il y a des toiles,
comme les Bohémiens de Zurbaran et la Naissance du Christ de
Cano, dont les équivalents ne se retrouvent, je crois, nulle
part. »
Les illustrations, très nombreuses, sont souvent fort intéres-
santes. Nous citerons particulièrement celles de nos collabora-
teurs A. Brun et H. Scott. On en jugera par les spécimens que
nous en reproduisons. Mais le tirage est parfois défectueux, soit
que la mise en train n'ait pas été toujours faite avec les précau-
tions minutieuses qu'elle exige, soit que quelques-uns des des-
sins n'aient pas été exécutés dans les conditions toutes spéciales
que demande la reproduction par la photogravure. Mais ce sont
là des détails secondaires dans un récit de voyage dont l'intérêt
subsiste en dehors de toute prétention artistique.
Eugène Ver on.
GUIDE RAISONNE DE L'AMATEUR ET DU CURIEUX
XX
M. CHARLES BLANC
Critique d'art, Membre de l'Académie des Beaux-Arts,
-Membre de l'Académie française, Professeur au Collège de France,
Ancien Directeur des Beaux-Arts.
Le Temps est un des journaux le plus justement respectés;
aussi n'entendons-nous, en aucune façon, le rendre solidaire de
l'article-réclame qui a paru dans son numéro du 24 avril
portant la date du lendemain 25 :
« Un amateur italien, le marquis Piccinardi. mourait, il y
a peu de temps, à Milan, laissant une collection de quatre-vingts
tableaux, qui vont être vendus à l'hôtel Drouot le mardi 26 avril
prochain. Ceux de ces tableaux qui appartiennent aux écoles
italienne et française sont les meilleurs. Dans le nombre, il faut
citer le portrait de Béatrice d'Esté, femme de Ludovic le Maure,
et celui de Ludovic lui-môme : ce sont des morceaux précieux.
Léonard de Vinci en fit les dessins, — deux dessins admirables
que l'on voit à l'Ambrosienne de Milan, — et ces dessins ont été
traduits en peinture par deux de ses plus illustres élèves d'ori-
gine. Marco d'Oggione a peint Ludovic, et Beltraffio a peint
Béatrice. Les amateurs qui ont pour Léonard de Vinci toute
l'admiration, toute la vénération que mérite ce grand homme,
iront voir et probablement enchérir ces deux portraits, auxquels
s'attache un double intérêt, celui qu'offre la peinture et celui
qui tient à l'histoire.
« Le portrait de Béatrice est donné, par erreur, dans le
catalogue, pour le portrait de Bianca Maria Sforza, nièce de
Ludovic, laquelle épousa l'empereur Maximilien. Béatrice a été
représentée par Léonard, de profil, dans un dessin d'une déli-
catesse infinie. Le modelé en est exquis. C'est la plus jolie, la plus
séduisante, la plus aimable figure de jeune femme qu'on puisse
rêver. Son petit nez légèrement retroussé, sa bouche aux lèvres
épanouies, amoureuse et parlante, son regard fin et provocant,
et la grâce de son buste élancé font de cette jeune femme sans
beauté une créature à faire perdre la raison. Le ravissant dessin
de Léonard a été mis en couleur par un gentilhomme milanais,
Beltraffio, qui faisait à ses heures de la bonne peinture. Marco
d'Oggione s'est comporté de môme pour le portrait de Ludovic
le Maure, dessiné par Léonard. Ce dernier morceau pourrait
être pris de loin pour un Antonello de Messine. De près on y
voit dans les lumières quelques-unes de ces touches vives,
quelques-uns de ces rehauts qui ne se trouvent pas dans les
ouvrages du peintre sicilien. Quoi qu'il en soit, le portrait de
Louis le Maure est aussi curieux que celui de Béatrice, et il n'a
pas moins de caractère.
« Deux jolies madones de l'école léonardesque, des portraits
de Morone qui ont de la tournure, et avec lesquels un Turcaret
pourrait s'improviser des ancêtres ; une Vue du Grand Canal, à
Venise, par Canaletto ; des paysages avec animaux, par Phi-
lippe Roos, dit Rosa de Tivoli, telles sont les toiles qui attire-
ront certainement l'attention des amateurs, avec deux paysages
décoratifs par Zuccarelli ; une nature morte signée Van Streek,
et trois portraits de personnages connus : l'un du cavalier
Bernin, peint en France, lorsqu'il y fut appelé par Louis XIV :
l'autre d'Angelica Kaufmann par elle-même, tableau signé et
parfaitement authentique ; le troisième d'une artiste vénitienne
qui maniait le ciseau du sculpteur, par Tiepolo. Il faut encore
ajouter à cette liste, relevée un peu à la hâte, un Martyre de
sainte Catherine, par Gaudenzio Ferrari, qui a fait un si fameux
tableau du même sujet au musée Brera, et une fresque, douce et
vénérable, de Luini, sciée et transportée sur toile, et représen-
tant la Crèche. »
« Ah ! qu'en termes galants ces choses-là sont mises! »
Mais il n'y a pas lieu de s'étonner, c'est signé Charles
Blanc en toutes lettres.
Les esprits chagrins — il en pleut dans ce siècle incrédule,
— s'aviseront peut-être de ne pas s'arrêter à cet aimable
pathos, d'aller au fond des choses et de traiter de verbiage igno-
rant ce petit chef-d'œuvre de haute critique artistique.
Nous le regretterions amèrement, tout en étant forcés —
Dame Vérité a de ces fâcheuses exigences, — de nous incliner
devant la trop cruelle exactitude des faits.
Rien de plus indiscutable que les renseignements que daigne