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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 2)

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Gindriez, Charles: François Rude, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18878#0039

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L'ART.

tenir compte des travaux exécutés en Belgique, il débute en 1828 par le Mercure, et termine sa
carrière en 18) y par l'Amour dominateur et YHébé. Si vous notez que ces sujets ont été
choisis librement' par Rude, vous conviendrez que chaque fois qu'il n'en était pas détourné par
des commandes, il revenait à la mythologie par la pente irrésistible de son esprit. Pour être
juste, je devrais en excepter le Pêcheur napolitain qui est de 1832 et correspond à une inspira-
tion puisée en toute sincérité dans la nature; mais comment ne pas reconnaître encore l'influence
obstinée dans l'harmonie de la composition, dans l'eurythmie des lignes, dans cette sorte de
musique enfin, qui serait inexprimable sans des mots empruntés à la langue grecque?

Quelle que soit la variété de l'œuvre de Rude, il est incontestable que la Grèce l'a hanté.
Certes, on est étonné de voir l'enfant du peuple, le fils du forgeron, s'éprenant de cet art grec
qui est le dernier mot de l'idéal et de l'absolu ', la surprise n'est pas moindre quand on réfléchit
que c'est précisément l'époque où tous les cerveaux fermentent, où Victor Hugo chante, où
Delacroix et Decamps peignent, où Préault et David d'Angers sculptent; l'étonnement redouble
quand on sait que ce jeune homme, assez exalté par nature, révolutionnaire par tempérament,
conspirateur au besoin, avait une âme ardente, et qu'on voit tous ces feux jetés dans ce bouil-
lonnement de nouveautés s'assoupir dans les suavités 'de cet art grec qui est calme et souriant
entre tous. Rude a trouvé dans cette voie des succès à satisfaire la vanité la plus exigeante ; et
pourtant, plus j'y réfléchis, plus je trouve que cette éducation tardive et hâtive a quelque peu
faussé la tournure intime de son génie, et, en le détournant de ses pentes naturelles, créé un
malentendu entre l'homme et l'artiste.

L'homme est impétueux, l'artiste est calme. L'art agit donc comme un calmant suprême sur
cette nature fougueuse dont les nerfs se détendent aussitôt qu'elle pénètre dans ces sérénités ;
c'est pourquoi la vie et le génie de Rude n'offrent pas cet accord intime qu'on trouve chez
certains hommes et qui donne à ces êtres privilégiés le charme presque plastique de leur unité.
Il faut décidément classer Rude dans la catégorie des êtres compliqués. Si nous le prenons hors
de son atelier, dans le menu train de la vie courante, nous avons presque un homme du peuple,
car — et c'est là un des traits expressifs de sa physionomie,— il fit de son origine plébéienne son
titre de noblesse et ne cessa de mettre, au milieu de toute sa gloire, une certaine coquetterie
à la rappeler. Il avait une charpente d'athlète, un cou de taureau, de fortes attaches, des
muscles saillants, des plans distincts et massifs, non tempérés par la grâce des contours comme
il arrive d'habitude chez les races patriciennes et oisives. Son geste était vif, sa parole sonore,
son rire bruyant et communicatif, et ne croyez pas qu'il se plût beaucoup dans la société des
gens du peuple ! mais il les recherchait par système, faisait montre à leur égard d'une urbanité
exquise, les comblait de politesses et s'écriait : « Voyez comme ils sont polis! » Il se tenait sur
sa porte en manches de chemise, allait puiser de l'eau aux fontaines publiques, et vous supposez
bien qu'avec sa barbe de patriarche il y mettait une sorte de gravité biblique. En somme, des
manières populaires et un air de grandeur, aucune grâce aristocratique, aucune distinction de
naissance, mais quelque chose d'exquis et de fort comme les rudes vertus du peuple épanouies
en une sorte de noblesse plébéienne.

Voilà ce que fut l'homme. L'artiste au contraire est un délicat, un songeur perdu dans son
rêve et poursuivant son idéal à travers les mille cahots des chemins d'ici-bas. Je ne me trompe
guère en affirmant que cette vie s'écoule en partie double, assez semblable à ces fleuves jumeaux
qui suivent chacun leur route et n'ont que des rencontres d'accident. L'homme aimera tout ce
qui s'impose avec force, tout ce qui s'avance dans un tourbillon de lumière et de bruit, les
athlètes, les chevaux, les soldats, la gloire ; l'artiste est un discret qui parle à voix basse,
s'avance sur la pointe du pied, un amant des mouvements assoupis, un adorateur des grâces
fragiles poussées parfois jusqu'à la maigreur. Ces frères ennemis se compliquent d'un troisième;
en morale, Rude est un stoïcien, un vrai stoïcien. Lorsque les trois quarts de l'Arc de triomphe
lui sont arrachés, quand le meilleur de lui-même et toute la virilité de son génie sont à jamais
perdus pour sa gloire, il se raidit et reste muet. Son fils unique meurt, il surmonte l'atroce
douleur. Aucun reproche contre le sort, aucune amertume contre les hommes : sa vie en prend
 
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