34 L'ART.
exemple beaucoup à dire du mélange de meubles de toutes les époques. C'est là le résultat de
notre curiosité, de notre besoin de choses rares, toutes faites ; impuissants au nouveau, nous
faisons du renouveau ; nous nous disputons les reliques d'époques que nous croyons aimer,
auxquelles, nous semble-t-il, nous eussions voulu vivre : manque de courage, d'énergie et de
foi à refaire une époque.
Je le constate, nous n'avons pas de ces vues d'ensemble, qui marquent l'attention et la
largeur d'esprit, le besoin raffiné de l'harmonie, le goût de ce qui se complète, le sentiment
enfin de ce qu'on appelle un style. Nous sommes en plein bric-à-brac, comme il arrive à toute
époque de transition.
L'individualisme propre à ces époques est la négation de tout style. Nous ne savons, nous
ne pouvons nous dégager des temps, que, dans notre fièvre de tout savoir, sans ordre, nous
étudions trop. Les lois se forment d'elles-mêmes, oui, mais il faut, pour les écrire, être plus
dégagés que nous ne le sommes, c'est-à-dire plus libres dans nos observations. Plus libres, nous
pourrons, plus tard, dans l'examen et le raisonnement de nos plus grandes commodités, en
étudiant nos besoins avec l'expérience et la subtilité tranquille qu'elle donne, ramener à l'unité
nos idées et notre façon de vivre, en y adaptant des formes et des couleurs harmoniques.
Cet amour malsain et énervant des temps passés a commandé toute une production de
tableaux d'un esprit singulier.
Non content d'acheter de rencontre, un peu au hasard, entre deux enchères, une table, une
chaise Louis XIII ou Louis XV ou autre, il a fallu, à ce public nerveux, des tableaux rappelant
ces époques, des tableaux costumés ! Et, vite, voilà des centaines d'artistes à le servir. — Et les
« époques Louis XIII », « époques Louis XV » de pleuvoir; au nom de qui? en foi de quoi?
pour qui ? pourquoi ? — Caprice et fantaisie ! — Mais comme la fantaisie changeait d'année en
année, ces malheureux serviteurs ont sauté du gracieux « Pompadour » au caractère « Moyen
âge » et du prétentieux « Empire premier » au comique du « Directoire », cette dernière époque
mise à la mode par la vogue d'une opérette des Folies-Dramatiques.
Et les mêmes modèles ont servi !
Hélas! qu'au nom de belles époques de gloire française on nous a servi de saltimbanques,
de cabotins de barrière et de chienlits !
Et jusques à quand sera-ce un paradoxe que d'écrire que seules l'interprétation de notre
nature telle qu'elle est aujourd'hui chez nous, et comme nous la sentons, et la représentation
des hommes de notre temps, comme nous les connaissons bien, peuvent assez renfermer d'huma-
nité pour mériter de vivre après nous, comme un monument à l'Homme?
On ne s'élèvera jamais assez contre le goût, en peinture, de l'historiette, du « rideau » de
vaudeville, de la représentation de simples jeux de mots, car certains « esprits » éprouvent un
véritable besoin, lorsqu'ils trouvent un calembour, de le couler en bronze.
Il y a bien un comique permis en art : c'est celui qui résulte du choc naturel des carac-
tères, mais où le caractère arrive-t-il à la charge? Il faut bien du tact pour le discerner. Mais
ici je veux me borner autant que possible à constater ce que je vois.
Après les « tableaux costumés », les moines tiennent une bonne place.
Et les sensibleries ? les sujets à madame ! tous ces petits bébés ! mais de ceux-ci je ne dirai
rien, je me laisserais attendrir... Citons aussi, au passage, l'art des petites Italiennes et de leurs
petits frères. La femme, toute de sentiment, dans ces petits malpropres, sous-entend de vagues
rêveries... Rome... Italie des maîtres... voyages de noces rêvés ou accomplis... — Souvenirs ou
aspirations que dans un petit coin de son intellect elle conserve : feuilles desséchées, médailles
bénites, petits cailloux, fleurs fanées en souvenance... sorte de nœuds à leurs mouchoirs... mis
là..., comme font nos paysans, pour se souvenir!
Il y a de ces petits Italiens qui demandent un sou dans une coquille d'huître, ou bien qui
lèvent au ciel du boulevard des Batignolles des yeux pleins d'une poésie pleurarde; d'autres,
renouvelés de la « Grâce de Dieu », sur la grand'route, ont sur les bras un paquet dans un
mouchoir, et une marmotte en vie, cela sur l'air de « Mignon regrettant sa patrie ! »
exemple beaucoup à dire du mélange de meubles de toutes les époques. C'est là le résultat de
notre curiosité, de notre besoin de choses rares, toutes faites ; impuissants au nouveau, nous
faisons du renouveau ; nous nous disputons les reliques d'époques que nous croyons aimer,
auxquelles, nous semble-t-il, nous eussions voulu vivre : manque de courage, d'énergie et de
foi à refaire une époque.
Je le constate, nous n'avons pas de ces vues d'ensemble, qui marquent l'attention et la
largeur d'esprit, le besoin raffiné de l'harmonie, le goût de ce qui se complète, le sentiment
enfin de ce qu'on appelle un style. Nous sommes en plein bric-à-brac, comme il arrive à toute
époque de transition.
L'individualisme propre à ces époques est la négation de tout style. Nous ne savons, nous
ne pouvons nous dégager des temps, que, dans notre fièvre de tout savoir, sans ordre, nous
étudions trop. Les lois se forment d'elles-mêmes, oui, mais il faut, pour les écrire, être plus
dégagés que nous ne le sommes, c'est-à-dire plus libres dans nos observations. Plus libres, nous
pourrons, plus tard, dans l'examen et le raisonnement de nos plus grandes commodités, en
étudiant nos besoins avec l'expérience et la subtilité tranquille qu'elle donne, ramener à l'unité
nos idées et notre façon de vivre, en y adaptant des formes et des couleurs harmoniques.
Cet amour malsain et énervant des temps passés a commandé toute une production de
tableaux d'un esprit singulier.
Non content d'acheter de rencontre, un peu au hasard, entre deux enchères, une table, une
chaise Louis XIII ou Louis XV ou autre, il a fallu, à ce public nerveux, des tableaux rappelant
ces époques, des tableaux costumés ! Et, vite, voilà des centaines d'artistes à le servir. — Et les
« époques Louis XIII », « époques Louis XV » de pleuvoir; au nom de qui? en foi de quoi?
pour qui ? pourquoi ? — Caprice et fantaisie ! — Mais comme la fantaisie changeait d'année en
année, ces malheureux serviteurs ont sauté du gracieux « Pompadour » au caractère « Moyen
âge » et du prétentieux « Empire premier » au comique du « Directoire », cette dernière époque
mise à la mode par la vogue d'une opérette des Folies-Dramatiques.
Et les mêmes modèles ont servi !
Hélas! qu'au nom de belles époques de gloire française on nous a servi de saltimbanques,
de cabotins de barrière et de chienlits !
Et jusques à quand sera-ce un paradoxe que d'écrire que seules l'interprétation de notre
nature telle qu'elle est aujourd'hui chez nous, et comme nous la sentons, et la représentation
des hommes de notre temps, comme nous les connaissons bien, peuvent assez renfermer d'huma-
nité pour mériter de vivre après nous, comme un monument à l'Homme?
On ne s'élèvera jamais assez contre le goût, en peinture, de l'historiette, du « rideau » de
vaudeville, de la représentation de simples jeux de mots, car certains « esprits » éprouvent un
véritable besoin, lorsqu'ils trouvent un calembour, de le couler en bronze.
Il y a bien un comique permis en art : c'est celui qui résulte du choc naturel des carac-
tères, mais où le caractère arrive-t-il à la charge? Il faut bien du tact pour le discerner. Mais
ici je veux me borner autant que possible à constater ce que je vois.
Après les « tableaux costumés », les moines tiennent une bonne place.
Et les sensibleries ? les sujets à madame ! tous ces petits bébés ! mais de ceux-ci je ne dirai
rien, je me laisserais attendrir... Citons aussi, au passage, l'art des petites Italiennes et de leurs
petits frères. La femme, toute de sentiment, dans ces petits malpropres, sous-entend de vagues
rêveries... Rome... Italie des maîtres... voyages de noces rêvés ou accomplis... — Souvenirs ou
aspirations que dans un petit coin de son intellect elle conserve : feuilles desséchées, médailles
bénites, petits cailloux, fleurs fanées en souvenance... sorte de nœuds à leurs mouchoirs... mis
là..., comme font nos paysans, pour se souvenir!
Il y a de ces petits Italiens qui demandent un sou dans une coquille d'huître, ou bien qui
lèvent au ciel du boulevard des Batignolles des yeux pleins d'une poésie pleurarde; d'autres,
renouvelés de la « Grâce de Dieu », sur la grand'route, ont sur les bras un paquet dans un
mouchoir, et une marmotte en vie, cela sur l'air de « Mignon regrettant sa patrie ! »